7. Trop de place
Ah ! aujourd’hui nous allons à la plage ! Malheureusement pas pour se prélasser sur le sable blond, ni se baigner dans les eaux chaudes de l’Océan Indien. La feuille de service nous a prévenus : N’oubliez pas la crème solaire et le chapeau. Il va faire chaud et le soleil tape déjà sacrément quand nous décollons de l’hôtel.
L’horaire de la journée est conditionné par celui de la marée, annoncée basse à 13h14, ce sera une journée continue de 9h00 à 17h00 et repas à 16h30, un horaire plutôt inhabituel.
Espérons que le buffet continu qu’on nous promet sur le plateau sera conséquent.
Il est donc 8h45 quand nous quittons le Centre Culturel en collant le cul du minibus caméra. La régie, confiante, nous avait laissé un itinéraire totalement en portugais, que nous ne parlons toujours pas, et voulait faire partir Bob une demi-heure avant nous, ce qui nous aurait laissés à la merci de n’importe quel flic en mal de touriste. Sans parler du fait que nous n’avions pas d’idée précise du lieu de tournage et du trajet. La prudence nous fit donc partir plus tôt que prévue.
Il est hors de question que nous lâchions d’une semelle notre poisson-pilote.
Après avoir enfilé 25 de Setembro, nous filons vers Costa do Sol sur Avenida da Marginal, nous longeons ainsi la magnifique côte est de Maputo, passons devant le Clube Naval que nous avions aperçu de haut la veille. Une dizaine de kilomètre, la route goudronnée bifurque à gauche. Nous continuons tout droit, sur un chemin de latérite et de sable, aussi large que la route que nous venons de quitter, creusé comme un terrain de moto-cross. Des cuvettes de sable dans lesquelles il vaut mieux ne pas plonger, des bosses de 1 à 3 mètres de haut, du sable où l’on patine, de la tôle ondulée, il faut jouer du volant et du pied, à allure réduite, nous ne roulons pas plus vite que les piétons nombreux marchent sur ce chemin. Heureusement, nous n’allons pas bien loin dans cette direction, cinq minutes et voilà le décor. Palabres habituels avec Yardena, décidément compliquée, pour le stationnement.
Angela est une bonne assistante quand elle informe l’équipe du programme de la journée. Avons-nous raté quelque chose ? Aurions-nous dû nous renseigner par nous même ?
Toujours est-il qu’aujourd’hui, à marée haute, nous n’avons pas pris la mesure de l’étendue de la plage.
Chissano, régisseur adjoint nous indique le premier décor, il suffit de descendre en contrebas un petit chemin de terre de quelques mètres, passer une petite dune sur une vingtaine de pas, et nous voilà sur le plat de la mangrove, parmi les arbres que la marée vient de délivrer.
Arsénio, Suleimane et Bob nous aident à porter dans le sable les deux roulantes, Cantar et bleue, le parasol, les sièges, les perches et le pied avec le micro stéréo, la valise du kit-cool, la mallette des HF. Il est quasiment 11h00 quand Pierre fait son annonce de la journée. Pendant que je trime à grosses gouttes sous le soleil, il s’est trouvé une place fort agréable à l’ombre des feuillus, au sec, au frais.
Les premiers plans de la journée consistent à filmer un à un les enfants soldats ramasser, au milieu des arbres de la mangrove, des cailloux, images des démons du passé. Nous approchons de la fin du film, dont la symbolique peut sembler pour certains pesante, pour d’autres impénétrable à nos âmes occidentales. L’optimisme qu’elle dégage pourrait paraître utopiste dans cette Afrique tourmentée. Mais il y a un lyrisme qui m’émeut dans cette idée de rédemption.
La caméra s’installe sur branches courtes (pied caméra permettant d’être assez bas), nous pataugeons dans la vase jusqu’aux chevilles, une vase noire, gluante, puante, les chaussures ont piètre aspect, l’eau fétide pénètre, les crabes fuient par milliers.
La République des enfants – 71 / 3 t1 – perche au centre, stéréo MS décodé L&R
La République des enfants – 71 / 3 t1 – perche seule au centre
Le groupe électrogène, à une bonne centaine de mètres sur le chemin, est nettement audible, à l’opposé, au bout des 50 mètres du touret, j’ai placé le stéréo vers la mer qui s’est retirée en quelques instants à l’étale. Mais les sons portent loin sur cette plage qui s’étend à l’infini. Autant le KM 150 permet de rejeter au mieux le fond sonore, autant l’USM 69 capte tout alentour avec une précision incroyable. Et ce chemin, cette route africaine, s’avère être aussi passant qu’une avenue ! Personne pour bloquer, ou blocage impossible, nous nous plions aux conditions que nous offre la production. Un bon bruitage, une belle ambiance feront l’affaire, plus tard… quand on aura le temps et les moyens de les faire.
Et voilà, première partie de la journée continue terminée, 9 plans du même style. Un tournage peut parfois être si répétitif, si lassant.
Il est 13h00, la mer, obéissante, en voilà une qui lit la feuille de service, s’est éloignée de bien 300 mètres, nous ne l’avons pas vue partir. L’étendue de sable est impressionnante. La caméra, l’électricité et la machinerie sont chargées sur une remorque tirée par un quad qui s’en va le plus loin possible.
Nous suivons à pieds, je décide de laisser en chemin la roulante bleue en me chargeant du principal, une fois de plus Suleimane est là pour nous aider.
Suleimane est l’assistant personnel de Flora, il a toujours le scénario sur lui, un porte documents mystérieux, il est habillé élégamment en toute occasion. Il parle parfaitement français, anglais, portugais, mais on ne le voit jamais intervenir, il est là, discret, il observe, certainement son travail se fait ailleurs, s’est fait avant. J’aime bien Suleimane, il est gentil et serviable, ne rechigne pas à faire 800 mètres dans le sable pour aller chercher un matériel à la voiture. On ne peut lui en vouloir si parfois ce qu’il rapporte ne correspond pas exactement à ce que vous aviez demandé.
Manuel et Jorge ont monté la caméra sur une tour d’aluminium modulaire, Paulo et Camal ont sorti le 4 par 4. Ça fait très cinéma. Pierre est bloqué par un bras de mer qui l’empêche d’aller plus avant. J’ai tombé les chaussures, je me souviens d’un tournage sur les plages d’Essaouira au Maroc où ayant gardé toute la journée les chaussures aux pieds dans l’eau de mer, j’en avais eu la plante des pieds totalement brûlée et souffert au diable une bonne semaine. Mieux vaut marcher sur quelques cailloux ou coquillages incisifs.
Je rejoins la caméra avec perches, pied stéréo, sacs de sable et mallette HF. Espérons que les émetteurs auront une portée suffisante. Pour le plan à venir, il m’a fallu équiper Danny, avec l’aide de Teresa, toujours présente, qui veille au bon confort de la star.
La cantine a installé une longue table buffet derrière le matériel, en bord d’eau, ce seront les premiers à devoir décamper. Ceux de la face n’ont guère le temps d’y aller. Il semble pourtant y avoir du monde.
Dans le lointain, Dubem, suivi en colonne par les cinq enfants soldats, sort des arbres de la mangrove pour se rapprocher dans l’axe caméra sur le sable mouillé. Un plan très large, vu de haut, qui englobe cette belle étendue d’eau et de sable. Une prise et il faut vite enchaîner, la mer ne nous attendra pas. Il est déjà 14h45.
J’aperçois Manuel saisir la mallette HF que j’avais posée par précaution sur une caisse caméra, pour lui éviter eau et sable, et la balancer au sol sans ménagement.
Cette mallette transparente affiche pourtant bien son contenu, tout le monde sait ce que sont les HF et combien ils sont fragiles, il y en a au bas mot pour 15 000 euros, autant que le coût du corps caméra de la Red. Je suis étonné, on ne fait pas ça sur un plateau.
Je vais à sa rencontre, en aparté, je lui demande de s’adresser à moi en personne si cette mallette le gêne en quoi que ce soit dans son travail.
On s’éloigne un peu du plateau, je suis curieux de savoir s’il a quelque chose à notre encontre, la seule réponse que j’obtiens d’un ton grincheux est Vous le son, vous prenez trop de place. Je ne réplique pas, peut-être une pique en rapport avec l’incident de dimanche matin. Sur un plateau, tout se paye.
Troublé, je préfère me remettre sur le plan. Danny a une réplique importante, il l’a longuement répétée pendant que nous préparions. Nous tournons contre-jour, il me faut faire attention aux enfants qui croisent l’ombre de la perche. Le vent m’inquiète, j’hésite entre Zéphyx et Rycote.
La caméra est descendue de son promontoire, le groupe partant de moins loin s’approche, Dubem reste en retrait pendant que les enfants, hormis Mon de Ferro, continuent et sortent du champs. Dubem évoque l’empreinte que l’Afrique laisse sur chacun et les secrets enfouis au plus profond des océans.
Quand nous finissons la 7ème et dernière prise, il est déjà quasiment 16h00.
Tant pis pour l’avion qui couvre le texte de Dubem dans celle-ci, tant pis pour Mon de Ferro qui se trompe dans la 6ème, tant pis pour le réflecteur qui se casse la figure dans la 5ème, tant pis pour les calques qui tremblent au vent dans la 4ème, la troisième est coupée, pour la moto qui passe dans la 2ème, pour la première pas en place, il n’y aura pas de prise parfaite.
Car tout d’un coup, la mer décide de reprendre son territoire et nous voilà à fuir quasiment en courant devant l’eau qui aura vite fait de rejoindre les arbres.
À la vitesse d’un cheval au galop.
La République des enfants – 73 / 2 t5 – perche et HF au centre, stéréo MS décodé L&R
La balayette de Patrick pour nettoyer en profondeur tout ce sable, nous reprenons la voiture pour aller jusqu’à la cantine installée sur la terrasse d’une maison qui domine sur la mer. Le paysage est magnifique mais nous l’avons assez vu pour aujourd’hui. Repas rapide, la nuit tombe, nous attendons Bob pour repartir en toute sécurité derrière lui.
A l’hôtel, je passe une bonne demi-heure au nettoyage des chaussures dans la baignoire, la vase, le sel de mer, sont tenaces, elles sècheront cette nuit sur le balcon, il fait si chaud, étouffant, je mets la clim.