1. Premier jour

Lever 4h45. Petit déj. 5h15, départ hôtel 5h40 !

La nuit a été un peu agitée, habituel à la veille d’un premier jour, même après plus de 100 films tournés.

L’hôtel a gentiment accepter d’ouvrir la salle de restaurant dès 5h00 du matin, pendant toute la période du tournage, avec un cuisinier, un chef de salle et un serveur. Cela nous permet de pouvoir profiter d’un véritable repas complet, un point capital vue l’amplitude de travail proche de 12h00, et un repas  à la cantine pas avant 12-13h00.

Nous quittons l’hôtel à 5h40 pour être à 5h45 dans le camion caméra stationné en toute sécurité dans le parking privé du Centre Culturel. Bob est bien sûr à son poste, le moteur tourne.

Il nous faut attendre quelques minutes les filles, Silene et Inês, auxquelles je laisse par galanterie les places de devant, Pierre ne tenant pas dans l’étroitesse de l’arrière. Il faut dire que la cabine de conduite de ce minibus est pour le moins vétuste. Des banquettes dignes d’un bus des années 50, pas de porte côté passager ( le volant est à droite, conduite à gauche oblige), ce qui implique que le chauffeur doive descendre pour faire monter ses passagers. Deux banquettes,  celle de l’arrière est totalement aveugle sur les côtés, aux ressorts violents. Le bruit du moteur rappelle celui d’un vieux camion militaire. Du bon et gros diesel à l’odeur âcre.

Nous prenons la direction du premier décor de ce film, un quartier résidentiel dans le haut de Maputo, au dessus des ministères à moins d’un quart d’heure de là.

Maputo - Avenida Francisco Orlando Magumbwe

Maputo – Avenida Francisco Orlando Magumbwe

En bon chauffeur qui connait sa ville, plutôt que passer par le centre, Bob emprunte le bas de la ville, Avenida 25 de Setembro, une grande route à 2×3 voies, totalement déserte à cette heure-ci et nous voilà sur le décor en un rien de temps, le croisement de Rua da Argélia et de Avenida Fransisco Orlando Magumbwe.

Ouf, les gaz du diesel commençait à m’incommoder fortement.

Les deux rues sont bloquées par de la rubalise un carrefour plus loin, c’est à dire pas à plus que 100 mètres, la circulation est plutôt calme.

Il faut dire que dans la République des Enfants, il n’y a pas de véhicules à moteur, pas d’engins pour adultes. Cela signifie qu’au son nous devrons veiller à ce que le fond sonore soit propre de toute circulation.

Dans une mégapole comme Maputo, où la voiture est reine, les embouteillages pires qu’à Paris, ça va pas être du gâteau, espérons que les personnes chargées du repérage des décors auront pris cela en compte.

Il fait déjà chaud à cette heure-ci, heureusement Maputo est une ville très arborée, il n’y a pas de rue qui n’ait d’arbres, sauf à être très étroite. Enfin Pierre va en profiter, de cette ombre, parce que pour ce qui me concerne, c’est la place du micro qui décidera, donc casquette et crème solaire obligatoire.

Après un détour pour arriver dans la rue, hors des axes caméra prévus dans la matinée, nous patientons tranquillement le temps que les assistantes caméra sortent leur matériel. C’est le moment pour saluer tout le monde et sentir l’humeur du plateau, appréhender le rôle de chacun, comprendre les rapports des uns et des autres. C’est aussi le moment pour aller découvrir ce qu’est une table régie en Afrique !

La table régie est une institution sur tous les plateaux du monde. Un technicien de cinéma, un acteur, ne peut pas passer une journée sans avoir toujours quelque chose à manger ou à boire. Et sans café ! En France, c’est généralement la régie qui s’occupe d’aménager et d’achalander celle-ci, sauf sur les gros tournages où c’est le prestataire de la cantine qui s’en charge. C’est justement le cas sur « la République des enfants ». Le catering, comme on dit en anglais sur les films américains, est assuré par une société indépendante de la production, 3 ou 4 gars, bien identifiables par leur polo orange, sont là pour répondre à nos envies. Il y a du pain, excellent, des pâtisseries, des fruits, des confitures, des jus de fruits, une machine à café, qui a mon grand regret ne fait pas le chocolat chaud, mais oh bonheur, il y a néanmoins du lait et du chocolat en poudre.

Bon, je n’ai pas l’habitude de commencer ma journée de travail à la table régie, je déteste même cela, on est là pour travailler, je jette un coup d’oeil au camion, Silene me fait signe que l’on peut enfin sortir notre matériel.

Flora, João, le directeur de la photographie, et Angela, la première assistante, ont décidé du plan, un long travelling en diagonale du carrefour, axé vers le Nord de l’avenue Magumbwe, du boulot pour la régie à bloquer les voitures que l’on pourrait voir dans la perspective. Ça tombe bien, Chissano et Arsénio, deux régisseurs mozambicains qui courent dans tous les sens, sont là pour ça.

La déco finit d’installer les éléments de décors, nettoyer le cadre des objets non désirés. Patrick, l’accessoiriste franco-allemand, s’active dans tous les sens, il faut dire que les enfants, entre 5 et 12 ans, sont un peu touche à tout, bien que je les trouve particulièrement patients et disciplinés. Un solide gaillard à la peau sombre et au visage songeur, Joachim, est là pour l’aider, avec la jeune mozambicaine Neila toujours en retrait et le jovial Mussá venu de Guinée.

Pierre va aux infos, je prépare le matériel.

L’ordre est toujours le même, du plus important pour tourner au moins utile. Je commence donc par mettre en place la roulante, déjà toute équipée avec le Cantar et ses deux batteries Li-Ion, les deux Cantarem, le clavier, l’iTak et sa télécommande. J’y installe le bloc HF, un simple clic du câble multipaire suffit à le connecter au Cantar. Les 2 batteries NP70L sont déjà en place. La roulante est prête, à Pierre de mettre tout cela en route, allumer les appareils, formater le DVD-Ram, faire l’annonce de début de journée, et surtout trouver un coin à l’ombre, pas trop loin de la caméra et du combo du metteur en scène. J’y lui amène son siège en toile et aluminium, un parapluie qui servira de parasol, et mon siège.

Je descends, avec l’aide de Bob, la roulante de face, dite « roulante bleue », une mini-tour peu encombrante à 5 tiroirs plastic, de bas en haut : câbles divers, accessoires de fixation, les micros, les systèmes d’écoute et de monitoring, un fourre-tout avec l’inutile indispensable. Au dessus tient avec de la Velcro, ma mallette HF, qui contient toutes les micros cravate et les 11 émetteurs Audio Limited 2020 et 2040 mini, Sennheiser SK 5212, ainsi que les accessoires nécessaires au placement de ceux-ci sur les acteurs.

Je prépare deux perches que j’installe sur mon pied de perche autonome, des VdB XL évidemment, j’y place la Zephyx avec un Neumann KM 150 et un émetteur HF, une petite Rycote avec le même micro, je mets de côté une troisième bonnette plus longue avec un Neumann KMR 81i, on ne sait jamais.

Voilà, nous sommes prêts à enregistrer un son, le metteur en scène peut dire moteur, il est 6h45.

Je monte sur un pied mon couple stéréo favori, le sublimissime Neuman USM 69i, à double capsules, chacune de deux membranes d’or larges de 30 mm, que l’on peut configurer en stéréo XY ou en stéréo MS (dans le cas présent, c’est mieux pour le cinéma que le XY car on peut en faire varier la largeur). On peut aussi s’en servir en mono, avec toutes les polarités possibles de l’omni à l’hyper.

De temps en temps, je jette un oeil sur la mise en place du travelling. Manuel, le chef machino portugais, aidé de Jorge, bissau-guinéen, a posé les rails au sol selon les marques déterminées par João grâce au viseur de champ. Pour en assurer la rectitude, il se sert d’un cordeau de maçon, une technique que je n’avais jamais vue en France. Il n’y a pas de dolly à proprement parler, mais un Panther, une machine hybride entre la dolly et l’Elemack, de fabrication allemande. Question de goût, mais aussi sûrement de budget. Et puis tout le matériel caméra vient d’Allemagne, par l’intermédiaire d’une société de location allemande, Cinegate, qui a une annexe au Cap en Afrique du Sud, Cinegate Africa. Silene place la RED sur le Panther, Inês branche le combo. On peut enfin voir une image.

Angela et Dino, le second assistant portugais toujours digne avec son chapeau, ont mis toute la scène en place, un plan d’ambiance de la ville, avec une figuration enfantine importante. Les gamins qui poussent des voitures à roulettes ou des vélos trottinette, le tout jeune agent de circulation qui contrôle le trafic de ces véhicules de pacotille, les vendeurs de mangues et de noix de cajou, celle qui garde son poulet en cage, pas loin d’un barbecue servant à griller le maïs, plus loin Chico et Gosse distribuent des tracts. Pas de dialogue mais une riche ambiance animée.

On tourne à contre-jour du soleil. Sur les indications de João, Paulo, le chef électro portugais, aidé du mozambicain Camal et du guinéen Joãozinho, monte haut sur pied manivelle un 18 KW HMI Silver Bullets à un bout du travelling, un 12 KW HMI Arri à l’autre, pour rattraper et éclaircir les peaux noires. Heureusement, dans ce plan, il n’est pas utile que j’aille loin dans la profondeur du cadre et que je croise le faisceau de ce projecteur aussi fort que le soleil. Attention, la vitre d’une maison me renvoie un puissant rayon de soleil, juste dans l’axe, au risque que je fasse une ombre au sol, il me faudra me décaler par rapport au mouvement de la caméra.

J’installe en hauteur le couple stéréo, au milieu du travelling, le plus en avant possible. Zut ! J’ai oublié la rotule canne à pêche de BoomMate à Paris (on oublie toujours quelque chose quand on part loin), qui m’aurait permis de dépasser très en avant le travelling, tant pis, je me débrouille avec un solide pied électro et sa rotule gentiment prêté par Paulo, et une perchette. Le micro se retrouve juste au dessus des rails à 2-3 mètres de haut, un peu piqué vers le bas. Pour ma part, avec le KM 150 je suivrai au mieux l’axe de la caméra, tout en modulant les entrées et sorties de champs.

Je mets de côté dans sa caisse l’enregistreur de secours, un Sonosax SX-R4 qui, comme son nom l’indique, est un 8 pistes avec 6 entrées analogiques, et un second couple stéréo MS (Schoeps CCM, nettement moins bien que l’USM 69) au bout d’une perchette, il pourrait servir à aller piquer vite fait quelques ambiances ou sons particuliers.

Je synchronise sur l’horloge mère mes boîtiers de Time-Code, je branche le premier sur le Cantar, je velcrote le second à son emplacement prévu sur la caméra. Je distribue les écoutes, des Sennheiser EK 300 G2 IEM, à Flora bien-sûr, à Ana la scripte, évidemment. J’en propose à Angela et Dino, puis à João qui ne trouve pas cela utile. Je prends mon propre système d’écoute, indépendant, sur lequel n’est envoyée que la perche. Là nous sommes définitivement prêt à tourner, avec l’indispensable et le moins utile.

Il est 7h15 quand Pierre fait son annonce sur le Cantar, il est 8h15 quand nous tournons la première prise du premier plan. Moteur !

La République des enfants – 18B/1 t3 – stéréo MS décodé L&R

A 9h40, après 8 prises, le plan est dans la boîte. La dernière n’est pas la meilleure pour nous, plus de voitures que dans les autres prises, un fond un peu confus. Personnellement, je préfère le son de la 3ème. Le monteur son a de toute façon le choix, entre les pistes stéréo MS, et le micro de perche, 8 prises, et les autres plans que l’on fera de la même scène, il y a de quoi nourrir et tout recaler.

Il fait vraiment chaud, en short et en T-shirt léger, je sens le soleil brûler la peau, la casquette ne suffit plus à amortir le choc, le cerveau surchauffe, je cherche l’ombre dans les moments creux, heureusement les temps entre les prises et plus encore entre les plans sont longs, très longs sur ce plateau. Il faut boire, encore et encore, ce que je ne fais pas assez.

Plan suivant, large, fixe, Chico et Gosse, deux phrases de dialogue. Pierre insiste pour équiper de micro HF les deux enfants Maurice et Georgina, j’avais déjà anticipé, je connais ses habitudes de prise de son, et je sais ce qui est nécessaire, je n’aurais pas fait autrement ! Il n’y a plus qu’à router sur le Cantar, rouge et jaune. La perche en ambiance large, le couple MS dans l’axe, 6 pistes en tout.

Raccord dans l’axe, gros plan, enfin gros plan à la mode João, l’école portugaise d’Oliveira, c’est à dire avec la croix sur le nez, on coupe sous les pieds et on met 1 mètre d’air au dessus. C’est beau mais on est pas forcément avec les acteurs, on reste loin de la scène, des visages, des émotions, à moins que le film ne soit projeté au Grand Rex ou en Imax 70 mm au Gaumont Disney Land. Donc, pas de quoi placer une perche très précise, pourtant le KM 150 fait merveille à isoler les voix quand il est bien axé, c’est le miracle de ce micro d’exception ! Ana conseille justement à Flora de faire plus serré, pas utile selon João, on en reste là, il est 12h40, l’heure de manger.

Nous allons découvrir la cantine. Installé à 50 mètres du plateau dans la cour d’un restaurant, un long buffet qui enchaîne les plats, chauds et froids, viande, poisson, crudités, légumes, desserts, fruits, chacun fait la queue pour se servir, au bout, les boissons, eau minérale, sans gaz, Coca, Fanta, sont distribuées au verre. Patrick, en vieux routard, a confisqué d’office une bouteille de Coca pour sa table. C’est là que nous nous asseyons, avec Ana et nos amis guinéens. Ils sont 4 ou 5, toujours en polo orange, bien visibles, à s’occuper du buffet et des boissons. Il y a aussi la patronne, c’est elle qui cuisine. Les plats sont apportés en camion de leur lieu de préparation, un restaurant j’imagine, et tenus au chaud sur le buffet avec des chauffe-plats à brûleurs d’essence gélifiée qui dégagent une odeur acre pas très agréable.

On mange assez vite, le lieu est agréable mais on est un peu serrés les uns sur les autres, café pour ceux qui sont accros, et retour sur le plateau.

Plan d’ambiance, passage de la charrette à travers la ville des 5 enfants soldats avec Mon de Ferro qui tire la charrette, Fatima qui dirige la progression, Aymar, Toni et Bia qui traîne. Les autres enfants s’écartent, intrigués, méfiants. Perche et couple MS dans l’axe. Mince, on a perdu le time code, du boulot pour la synchro, tant pis, je resynchronise pour le plan suivant.

Maputo - Avenida Armando Tivane

Maputo – Avenida Armando Tivane

On se déplace dans la rue voisine, Avenida Armando Tivane, autre passage de la charrette. Travelling, trop de circulation dans le fond sonore, on fait un son seul, avec la perche présente, en particulier sur le souffle de Mon de Ferro qui hahane à tirer la charette dans la pente. Il est 16h40, fin de journée.

En fin de matinée, David, le « transport manager » mozambicain, était venu nous voir pour connaitre le type de véhicule dont nous aurions besoin. Ah, ah, la production aurait changé d’avis, Silene se serait plainte de ne pouvoir travailler dans le camion camera ? Il nous montre le 4×4 de ville de Patrick, je prends quelques mesures par rapport aux roulantes, parfait, je peux me débrouiller à placer les deux côte à côte verticalement et les caisses indispensables, le reste devrait pouvoir rester dans le coffre guillotine du minibus.

En milieu d’après-midi, David est de retour avec notre voiture, une Toyota Noah, modèle japonais inconnu en Europe, voilà quelqu’un d’efficace ! Quelques aménagements à faire, enlever les sièges arrière, retour une heure plus tard, juste à temps pour la coupure, vraiment ce type m’épate, il nous en faudrait plus comme ça à la régie, même en France.

L’organisation du rangement a toujours été mon affaire, c’est plié en moins d’une demi-heure. Comme promis à Mano, c’est moi qui allait conduire. Tout d’un coup je réalise que je suis dans une ville que je ne connais pas du tout, avec des règles de circulation particulières, qu’il faut rouler à gauche, avec une grosse voiture, volant à droite, automatique, que je ne maitrise pas du tout, je n’ai pas mes papiers sur moi, le passeport est retourné à la production, de toute façon mon permis de conduire français n’est pas valable ici, je me suis peut-être engagé à la légère.

Pas de problème, David, toujours à l’écoute, nous présente l’inspecteur Mucavel, haut responsable de la police locale, le sésame passe-partout. C’est lui qui nous précède à travers la ville, malgré une circulation intense, nous arrivons assez vite, et sain et sauf, au Centre Culturel où nous allons garer, en toute sécurité tout au long du tournage, la voiture avec le matériel dedans.

Bières 2M au bar de l’hôtel avec quelques membres de l’équipe déco et image, rapide dîner sur place, et il est temps d’aller prendre un bon bain. Les chambres plein ouest sont chaudes si l’on n’a pas pris soin de fermer les rideaux dans la journée, je le saurai pour demain. Je mets la climatisation quelques instants pour faire tomber la température à 26°C. J’éteins et m’endors.

 
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