12. Master class

La République des enfants - Danny et Ana

La République des enfants – Danny et Ana

Dimanche matin, 6h00, la ville est déserte. Nous partons seuls du Centre Culturel, le camion caméra étant resté pour la nuit sur le décor de l’hôpital. Pas d’itinéraire sur la feuille de service, nous reprenons le même trajet, enfin nous le croyons. Au moment de quitter Mondlane pour atteindre l’entrée de l’hôpital, nous nous trompons de rue. Nous voilà perdus !

Heureusement Pierre a toujours sur lui le plan remis par la régie le jour de notre arrivée. Pas très détaillé, nous tournons plusieurs fois en rond avant de tomber sur l’arrière de l’hôpital, puis son entrée. Comme nous sommes toujours convoqués très en avance, pas d’inquiétude.

Pas besoin d’emprunter les ascenseurs, le décor est au rez-de-chaussée dans la salle des archives de l’hôpital. La décoration y a aménagé un cagibi, un espace exigu de 3 mètres sur 3, entouré de grilles, encombré de vieux meubles, de papiers qui traînent, l’atmosphère est sordide, sombre et nous allons y rester toute la journée.

C’est la scène pivot du film. Après le conseil des ministres adultes, le Palais est secoué par une suite d’explosions. Sans cesse repoussé, Dubem se retrouve précipité dans un cagibi, à la seule lumière d’une lucarne. La porte se referme d’elle-même et le voilà emprisonné. Quasi aveugle sans ses lunettes, il progresse à tâtons pour se repérer. Des gémissements lui indique la présence d’un enfant. Nuta recroquevillée dans un coin, derrière un meuble, est morte de peur. Dubem la rassure, Nuta le dirige pour l’assoir sur une caisse à même le sol.

Trois heures après notre arrivée sur place, la lumière et le premier plan sont enfin prêts. Il s’agit du tout début de la scène. La caméra est placée très en hauteur, quasiment au plafond, en plongée sur le sol. Le plan est très large, la lumière dans le même axe est une fois de plus très handicapante pour la perche. Je me retrouve perché sur une caisse de bois posée en équilibre sur le bureau, coincé entre le mur et le bord du cadre, aucune liberté de mouvement, le micro est très haut par rapport à la limite du cadre. Heureusement le lieu est très calme (on y entend siffler la RED) et l’acoustique bien amortie par tous les papiers qui l’entourent. Danny a un timbre de voix parfaitement placé avec une puissance qu’il contrôle parfaitement en fonction de la largeur des plans.

La République des enfants – 8 / 1 t3 – perche au centre

Dès ce premier plan, il est évident que Melanie n’est pas dans la situation, la peur ne se ressent pas dans sa voix. Cinq prises et nous passons  en gros plan sur elle. Guilherme prend en charge la direction d’acteur. C’est lui qui la motive pour la mettre en condition. Comme elle est recroquevillée sur le sol et commence à gémir entre ses cuisses, je place un micro par en bas entre ses jambes, et je mets la perche au dessus pour la fin lorsqu’elle relève la tête. Le mixage de Pierre est parfait.

La République des enfants – 8 / 2 t5 – perche et micro d’appoint au centre

Le plan suivant enchaine l’ensemble du dialogue, la plus longue scène que nous ayons tournée jusqu’à présent. Nuta aide Dubem à s’assoir sur une caisse, elle fouille le lieu à la recherche d’un moyen pour sortir, découvre dans une commode une paire de lunettes qu’elle remet à son compagnon de fortune. En les chaussant, le vieux conseiller prétend y découvrir le futur, celui de Nuta en particulier, il la rassure sur son avenir. Tout au long de leur échange, les explosions les obligent à chaque fois à se protéger des débris qui tombent.

Pour moi, il est évident que cette histoire de lunettes qui voient dans le futur est une invention de Dubem pour rassurer la jeune fille. Apeurée, découragée, elle lui lance n’avoir pas de futur dans ce monde.  Il lui raconte alors une fable, qui va être tout le corps du film, celle d’une République où les enfants auraient pris la place des adultes. Nuta en serait la principale actrice (dans les rêves comme dans les contes, on se voit toujours dans le premier rôle). A la fin du film, sur la plage, lorsque Dubem lui remet les lunettes, ils sont en fait toujours dans ce cagibi, la fable est finie, Nuta peut se prendre en main et assurer elle-même son propre avenir. Je pense qu’il serait bien que le montage montre cela, en faisant par exemple un raccord dans le mouvement de ce geste de Dubem rendant les lunettes à Nuta sur la plage, avec le geste  de Nuta donnant les lunettes à Dubem dans le cagibi mais en inversant ce plan.

La République des enfants - Danny et Pierre

La République des enfants – Danny et Pierre

Ce plan séquence de la scène s’avère être une relative catastrophe pour le son. La lumière est vraiment imperchable, impossible de faire entendre cela à João notre chef opérateur, je crois qu’il ne s’en rend pas compte ou qu’il n’a guère d’attention au travail du son sur un plateau.

Je commence donc par installer un micro-HF sur Melanie, mais comme elle place systématiquement ses répliques sur ses mouvements, le HF devient alors inutilisable.

Pour Dubem, je planque tant bien que mal au sol, derrière une étagère, un micro destiné à compléter la perche trop haute.

Danny est parfaitement conscient de chaque élément technique qui compose un plan. Il a noté la place du micro, celle de la perche. Comme il joue pour la caméra, il joue pour les micros. A un moment, il va jusqu’à indiquer à Melanie de tourner son visage vers le micro lorsqu’elle parle. Danny démontre ainsi la parfaite maîtrise qu’il a de son jeu, il sait que sa performance est magnifiée par deux composantes capitales : les expressions de son visage, le timbre de sa voix. Trop d’acteurs ou de cinéastes oublient cela. Sans gros plan sur lui, un acteur est un meuble dans un décor, comme l’a dit un jour Polanski.

Il faudra justement toute l’insistance de Ana, soutenue en cela par Flora, auprès de João pour que celui-ci daigne tourner un gros plan de chacun. Sans cela, nous en serions restés à filmer une action et un décor. Grâce aux gros plans, nous pénétrons dans le sentiment, la peur, l’angoisse de l’une, la sérénité, la maturité de l’autre. Ce sont ces sentiments que Danny tente d’expliquer à la jeune Melanie qui a du mal à vivre réellement la scène, à imaginer comment  la violence des explosions doit motiver ses réactions et son état d’esprit. En plus de nous offrir une très belle leçon de comédie, il sait aussi que sa prestation ne sera valorisée que si le jeu de sa partenaire est à la hauteur. Il a lui même défini par rapport au texte le moment de chaque explosion, afin de créer le rythme et la dynamique nécessaires à la tension et l’intensité du moment. Cette scène, il a dû la travailler et retravailler depuis longtemps, il a parfaitement compris que toute la crédibilité du film en dépend.

 

Après le plan général, nous tournons donc plusieurs fois la scène en différentes valeurs moyennes, aucun de ces plans n’est parfait pour le son, jamais je ne peux arriver à placer le micro dans les limites du cadre, comme il se devrait, cela est frustrant et je crois qu’il n’y a malheureusement aucun dialogue à avoir avec l’image sur ce sujet. Cela promet pour la suite.

Mais sur l’ensemble de la journée, et en particulier dans les deux gros plans, merci Ana, il y a de quoi corriger les imperfections sonores des plans larges. Cette scène représente un beau challenge de montage, tant à l’image que au son, pour en tirer le maximum de violence, de tension, d’espoir, de drame et de sens.

Pour le dernier plan de la journée, Falk, notre chef constructeur, s’est improvisé artificier, afin de simuler des impacts de balles sur la porte. J’imagine que Gerhard n’a pas pu venir de Johannesburg juste pour ce plan et qu’il a donc confié son matériel à la déco. Manque de chance, tout ne va pas comme il devrait.

 

Cette journée me laisse dans un sentiment mitigé. Celui d’avoir produit, à cause de conditions de lumière et d’image compliquées, un son pas vraiment à la hauteur de la prestation impressionnante d’un grand acteur.

La semaine est terminée, au premier jour de celle-ci, un membre de l’équipe caméra nous avait reproché de prendre trop de place, il s’avère en fait que la place du son sur ce film est celle que l’image veuille bien lui accorder. Nous serons donc obligé de faire avec, même si cela est préjudiciable au film lui-même. L’expérience acquise depuis de très nombreuses années saura nous faire accepter cet état de fait déplorable et, heureusement, nous avons par ailleurs quelques alliés, à commencer par la mise en scène, Flora, Ana, Guilherme.

Le weekend s’annonce bien. Nous avons prévu, avec notre chère Ana et les adorables et charmantes Abigail et Teresa, d’aller manger de la langouste au Clube Naval. Lorsque nous rentrons à l’hôtel, il n’y a plus que ça qui importe.

C’était sans compter ces damnées bactéries. A peine sorti de mon bain, je suis pris de vomissements terribles, mes boyaux n’en peuvent plus, mon ventre panique de douleur, mon énergie s’épuise dans la cuvette des wc. Pierre me file un anti-vomitif qui me permet de souffler, mais je n’irai pas avec eux déguster la langouste promise.

 
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