37. Les trois jours de Mafalala
Il aura fallu attendre six semaines avant que nous ne tournions dans ce qui caractérise l’agglomération de Maputo, ses immenses quartiers périphériques qui entourent la ville haute sur des kilomètres, le véritable habitat de la population pauvre de la capitale.
Mafalala est un de ces quartiers qui longent la route menant à l’aéroport.
Sans être à proprement parler des townships, ce mot évoque la ségrégation raciale en Afrique du Sud, ni vraiment des bidonvilles, ces quartiers sont extrêmement denses, l’habitat est un mélange de maisonnettes en dur et de baraques de bois et tôles ondulées.
Un habitat qui pourrait apparaître précaire donc mais dans lequel vit la majorité de la population de Maputo depuis des décennies.
Les rues de terre et de sable sont étroites, et si l’on n’a pas le sens de l’orientation, il est facile de se perdre dans des passages labyrinthiques.
Les voitures y sont rares, l’eau est le plus souvent tirée de pompes communes, le mode de vie est calqué sur celui des campagnes, avec la cour comme élément central autour de laquelle s’articulent la vie sociale et les occupations de la journée.
C’est donc dans ce quartier que nous allons rester pendant trois jours pour tourner les séquences qui concernent la maison de Nuta et ses environs.
L’endroit est plutôt agréable, les enfants sont curieux mais respectueux, les femmes nous observent d’un œil, les hommes sont assis à boire la bière de millet tout juste tirée d’une jarre qui fermente à l’ombre.
C’est un horaire mixte qui est prévu à la feuille de service, nous ne commençons qu’à 14h30 pour finir à 23h30 (hors temps de transport et de préparation, l’horaire officiel à la mode portugaise est 13h00-00h00).
Nous profitons donc de ce début de journée tardif pour faire un tour à la production afin de retrouver les matériels égarés par la régie lors du déménagement des bureaux.
En fouillant un peu, nous finissons par dénicher le pied micro destiné à la tribune du carnaval, mais il manque toujours le sac de skis qui sert au transport des pieds et perches. Qu’à cela ne tienne, j’esquisse un croquis avec mensurations et détails sur les ouvertures pour que la régie en fasse coudre un d’ici la fin de la semaine. Je confie cette mission à Chissano car il est, comme Kiko, débrouillard et volontaire.
Du bureau, il est assez facile de se rendre sur le décor, prévoyant Pierre a repéré le trajet sur son plan de poche et avec l’itinéraire que la régie nous a donné, nous arrivons à bon port au début de Rua da Guine (un lieu prédestiné pour un tournage de Flora) qui part de Avenida Marien Ngouabi. Encore quelques semaines et nous naviguerons dans cette ville comme un poisson rouge dans son bocal.
Rua da Guiné tient du chemin et de la piste, de la terre, quelques passages caillouteux qui font craindre la pire pour les pneus, des trous infranchissables pour un véhicule comme le notre, et surtout du sable beaucoup de sable, qui me fait craindre l’enlisement à chaque mètre parcouru.
Arrivé après quelques centaines de mètres sur le décor de la maison Nuta, je préfère garer notre véhicule plus loin que l’emplacement prévu par la régie, sur une surface quelque peu solide et dans le sens du départ, car je n’oublie pas qu’il faudra repartir de nuit dans cette rue où l’éclairage public sera probablement défaillant voire inexistant.
L’insistance de Yardena n’y fera rien, je resterai là où je l’ai décidé, je tiens à rentrer à l’hôtel cette nuit. On croyait tourner dans le centre de Maputo et on se retrouve ensablés dans un « township », comme le groupe électrogène qui s’est enfoncé à un point que tout son châssis repose dans la terre.
Mais c’est une fort mauvaise nouvelle pour le son, car le décor est là, à 10 mètres de l’autre côté d’une maisonnette qui ne pourra pas faire écran, bien au contraire les murs de béton et les tôles ondulées font résonateur et emportent le son encore plus loin.
Nous nous installons donc dans la cour au devant de la maison Nuta et dès le premier plan, il s’avère que le problème du groupe électrogène est vraiment rédhibitoire.
Quel manque de chance, pour une fois que nous étions dans un lieu assez calme, où l’on peut maîtriser, dans une certaine mesure, l’environnement sonore, c’est le plateau lui-même qui génère sa propre nuisance.
Ce n’est pas la première fois que la régie stationne les camions sans avoir pris soin auparavant de tester la solidité des sols, sur ce coup-là, on peut vraiment les en blâmer. Le pauvre Ernest confus n’y est pour rien et je suis certain qu’il n’en pense pas moins vis à vis de l’organisation.
Après l’hôpital, Chico a emmené les deux filles Fatima et Bia dormir chez Nuta. Le lendemain, à son réveil, Fatima, qui cherche à s’enfuir de la maison, saute par la fenêtre. Manque de chance, Joyce a une peur maladive de la hauteur, un manque d’équilibre évident et se révèle ni courageuse, ni sportive. Se placer sur le rebord de la fenêtre à un mètre cinquante du sol l’effraie et il faut lui installer un marche pied pour qu’elle puisse en descendre.
La République des enfants – 47 / 2 t2 – perche seule au centre
Il est particulièrement dommage de ne pouvoir utiliser de micro stéréo dans ce décor.
Nous passons ensuite à l’intérieur de la chambre pour en faire le contrechamps, Fatima se lève, va à la fenêtre et esquisse le mouvement de vouloir l’enjamber. La construction de bois amortit pas mal le son du groupe électrogène, ce qui est plutôt de bon augure pour la suite car nous aurons demain deux séquences de texte à y tourner et il est rien que moins certain que le groupe électrogène puisse être bougé avant longtemps.
La République des enfants – 47 / 1 t5 – perche seule au centre
Un peu après quatre heures nous en avons fini de cette séquence de jour, il faut donc attendre la nuit.
Nuta accompagnés de Chico reproche à ce dernier d’avoir amené chez elle ces enfants belliqueux qui risquent, selon elle, de contaminer les autres. Bia s’approche du jeune garçon et lui propose ses services pour la nuit afin de le remercier d’avoir pris soin d’elles. Bien évidemment le tout jeune Chico est loin de comprendre la nature des « services » de la jeune fille, une partie du texte qui sera finalement coupée juste avant de tourner.
Il fait donc nuit dès dix-sept heures mais bien évidement il n’y a aucune anticipation de la mise en place des lumières qui s’avèrent de plus extrêmement complexes où chaque projecteur est entouré d’une foison de pieds supportant drapeaux, calques, mamas, si bien que nous ne tournons ce troisième plan de la journée qu’après huit heures et demi.
Et ce plan n’est pas facile pour le son même si, je dois le reconnaitre, Paulo et João ont été coopératifs en posant les drapeaux nécessaires pour gommer les ombres de perche.
Le long d’une façade, un travelling latéral suit les deux protagonistes qui se chamaillent, passe derrière des arbres et des abris de canisse, pour arriver au devant de la maison où Bia rejoint Chico pour lui parler.
La configuration du lieu empêche de percher le début et la fin avec le même micro, Patrick accepte de bonne grâce de faire une seconde perche pour toute la partie du texte en place et je me charge du déplacement, dans un position inconfortable, le micro à rebours car je suis obligé de suivre Melanie et Maurice de dos, coincé que je suis par les arbres.
Dix prises sont nécessaires pour que tout le monde se coordonne, moi en premier qui mets un bout de perche par deux fois dans le coin du cadre (ce que l’on appelle un angle de perche).
La République des enfants – 40 / 1 t10 – deux perches au centre
Bon on s’en tire pas si mal, sauf que le groupe prend une importance telle dans la nuit calme que nous sommes obligés de refaire tout le texte en son seul après un champ/contrechamp sur Bia, la jeune Anais est bien fade, et Chico, Maurice pas vraiment à son aise dans cette scène de charme.
Comme la dernière séquence prévue tombe à l’eau, nous en avons terminé à 22h30, bien avant l’horaire. Tout le matériel est entreposé dans la maison, qui sera gardée par nos deux solides gaillards et leurs fusils à munitions d’éléphants engagées dans le canon, ça fait peur mais ça rassure. Et en reprenant la voiture, je suis bien content de m’être garé dans le sens du départ tellement il fait noir sur cette Rua da Guine endormie.