4. Le Conseil des Enfants
Profitant du week-end, « La République des enfants » a envahi l’Hôtel de Ville de Maputo pendant 4 jours. Pour pouvoir bénéficier au maximum d’une ville calme et déserte, contrainte imposée par le scénario, la production a organisé la semaine du mardi au dimanche. Avoir le lundi comme jour de congé n’est d’ailleurs pas une mauvaise idée, les commerces sont ouverts, la ville animée.
Cette nuit, les véhicules de tournage, y compris le minibus caméra et notre véhicule, avec tous leurs matériels de valeur, sont restés devant le Palais, gardés par deux solides gaillards en treillis gris, fusil à pompe avec munition de chasse à l’éléphant engagée dans le canon. J’ai toujours une appréhension en passant à coté de ces gars, sympathiques au demeurant, qui donnent parfois un coup de main à porter des caisses, mais un coup de fusil est si vite parti !
Il nous faut pas plus de cinq minutes, vers 6h00 du matin, pour passer du petit déjeuner au lieu de tournage. Il fait encore frais à cette heure-ci, un peu d’humidité couvre les vitres.
Pour monter le matériel jusqu’au décor, les deux roulantes, les pieds et perches, le stéréo, la valise du kit-cool, Jorge et Suleimane, l’assistant personnel de Flora, tous deux guinéens, nous donnent un coup de mains.
De toute façon, nous avons le temps, car il faut d’abord éclairer le décor.
Pierre va s’enquérir de la place du groupe car la salle où nous allons tourner donne directement sur la rue. Ernest, le groupman a fait le trajet de Cape Town en Afrique du Sud à Maputo avec son groupe électrogène de 150 kVA, au bas mot plus de 1600 km en deux jours en passant par Johannesburg.
C’est un petit gars fort sympa, toujours rigolant, énergique en diable et qui tire ses lignes avec un courage et une abnégation remarquables. Et on lui en fait tirer des lignes, aujourd’hui, pour monter dans les étages ! D’autant plus qu’à la différence de l’Europe, le triphasé est porté par 5 câbles séparés, un pour chaque phase, le neutre, la terre, repéré chacun par une couleur. Il ne s’agit pas de brancher le noir avec le rouge ! Mais non seulement Ernest connait son métier, mais en plus il est très attentionné au son, et a conscience que son groupe n’est pas des plus silencieux.
Paulo sort la grosse artillerie, le 12/18 K de Cinemills, le 12 K d’Arri, et d’autres HMI moins puissants, il faut dire que le volume de la salle est impressionnant. Nous veillons au positionnement des ballasts, car tous sont ventilés et particulièrement bruyants.
João éclaire beaucoup à la face, à peine décalé de l’axe caméra, en lumière directe calquée, très haute, c’est rien de moins pratique pour la perche. Je comprends maintenant sa conversation du premier soir, car avec une telle façon de concevoir les axes de lumière, c’est sûr qu’il y a tout le temps des adaptations à trouver pour la perche, des drapeaux à poser, des ombres à masquer et je sens que cela va vite devenir problématique.
A travers les trois hautes fenêtres de la salle, les trois HMI les plus puissants sont utilisés pour créer l’impression d’un extérieur très lumineux. Des calques sont placés devant pour étaler et adoucir un peu. La salle baigne donc dans la lumière, le bois brille, les couleurs sont pimpantes, les reliefs sont un peu marqués. La face quasiment aussi forte aplatit un peu l’image.
C’est la première grande scène dialoguée du film, au centre de cette salle majestueuse, trône une longue table d’une dizaine de mètres. Tout au bout siège la Présidente du jour, qui a du mal à se faire entendre, autour les ministres enfants. On y retrouve un grand nombre des intervenants majeurs de la République de Enfants. Chico, qui a pris la place de Dubem, la petite Sarah, qui vient lui donner des leçons ! Et les jumelles bien-sûr, elles sont au centre de l’histoire avec leur ministère de la Croissance (ou de la Métrique).
Le premier plan d’introduction est assez court, Nuta rentre dans la salle du Conseil et fend la foule pour s’approcher de la table, la caméra en travelling commence serrée sur elle et recule pour découvrir l’immensité de la salle avec les ministres enfants et une assistance en ébullition.
Pour donner du volume au son, je place l’USM 69 dans un coin de la pièce, le fond bruisse légèrement, les voix résonnent, il y a de l’ampleur dans cette salle. Plutôt qu’équiper chaque intervenant d’un HF, je pose sur la table, deux KM 150 et un KM 140 sur émetteur HF avec câble passif ou rotule, que je masque par les différents objets qui la meublent. Pour ma part je suis d’en haut le déplacement de Nuta dont les chaussures crissent sur le parquet.
La République des enfants – 45 / 1 t3 – perche, micros d’appoint au centre, stéréo MS décodé L&R
C’est une scène importante : les jumelles ont constaté que les enfants ne grandissent plus, l’assistance est inquiète, comment devenir ingénieur, aviateur, ou musicien, si on demeure enfant. Seule Nuta, qui évoque le souvenir du monde terrible des adultes, plaide pour un statu quo. C’est bien tout le paradoxe de cette République des Enfants.
Pendant que l’équipe installe le plan, Guilherme, le coach des enfants, met en place la scène, donne des indications de jeux, corrige un peu le texte. Les enfants répètent une fois, deux fois, trois fois et plus encore, et ce n’est qu’à 9h30 que nous tournons ce premier plan d’introduction.
Le second plan, très large, englobe toute la scène. On va la filmer comme au théâtre, de loin, pleine face, à plat.
Afin d’éviter que les enfants ne jouent avec les objets posés sur la table et fassent du bruit trop près des micros d’appoint, je fixe à la pâte américaine, une sorte de pâte à modeler collante, chaque crayon, chaque pinceau, tube de gouache, chaque verre, carafe, bonbon, document et jouet. Patrick et ses deux assistants locaux, Joachim et Neila, m’aident dans cette tâche fastidieuse.
Voilà, il ne me reste plus qu’à monter sur une échelle de 4 mètres, déplier la perche au maximum et tenter de suivre au mieux le dialogue face caméra, laissant le soin à Pierre de mixer l’ensemble des micros d’appoint pour compléter celle-ci.
La République des enfants – 45 / 2 t3 – perche, micros d’appoint au centre, stéréo MS décodé L&R
Pauvre enfant, il l’avait si bien dite sa phrase dans la première répétition. Tous ces enfants, tous ces adultes qui ont le regard fixé sur lui, cela a dû être terrible dans son esprit.
Dès ce plan et le suivant un peu moins large, certains enfants ont du mal à garder la dynamique qu’ils avaient aux répétitions, perdent les intentions, heurtent sur les mots. Et on n’ira jamais jusqu’au bout de la scène. On ne peut bien sûr le leur reprocher.
Dommage, dommage, car plus la journée avance, plus les enfants se bloquent, le rythme ternit, les voix perdent de leur puissance, les visages se crispent. D’autant plus qu’on leur demande à chaque fois de donner leur texte même lorsqu’ils ne sont pas filmés. Si bien qu’en fin de journée, les enfants sont là depuis 7 heures du matin, lorsque nous commençons les gros plans de Nuta, la pauvre Melanie, déjà bien fatiguée, peine à retrouver la persuasion nécessaire à son intervention.
Quand la journée s’achève, tout le monde est épuisé, j’ai un sentiment d’inachevé. Cette scène était si bien écrite.