28. Hôpital des riches
Non, cet hôpital des riches n’est pas celui où nous tournons actuellement !
Il faut l’avouer, quand la régie s’occupe de vous, ça ne traine pas et je dois reconnaitre qu’ils ont été particulièrement efficaces, attentifs et dévoués !
La production a été mise au courant de mes ennuis de santé, fièvre, vertiges, ganglions à l’aine.
Je ne suis pas seul dans cet état sur le plateau, Angela, Patrick, Guilherme, Silene, il semble qu’un certain nombre d’entre-nous aient été piqués par des tiques, probablement dans le décor de la menuiserie, et que nous ayons possiblement contracté la maladie de Lyme.
Ce matin donc, à l’occasion d’un changement de plan, Yardena m’accompagne dans un bureau exigu muni d’une simple petite table et d’une chaise en métal rouillé, consulter un médecin de l’hôpital psychiatrique d’Infulene. Un premier test rapide de la malaria, on vous pique le doigt, on met la goutte de sang sur une plaquette qui réagit au bout de trente minutes, se révèle négatif. Tant mieux. Mais ce psychiatre m’avoue lui-même, par traduction interposée de Yardena, ne pas être spécialiste des soins et préfère m’envoyer consulter le service de santé de l’hôpital.
Un peu plus tard, avant la coupure déjeuner, Kyko m’emmène dans un autre bâtiment de l’asile. Nous traversons un vaste dortoir commun, où gisent une vingtaine de femmes visiblement en mauvaise santé, certaines nues sur des draps pas vraiment blancs, l’endroit est loin d’être propre, même si une aide soignante est en train de nettoyer une flaque d’urine, l’odeur est insoutenable, je retiens la respiration et passe avec des œillères. Un infirmier effectue une prise de sang, je m’assure que la seringue utilisée est bien à usage unique. Comme il n’y a pas de laboratoire dans cet hôpital, le résultat est prévu au mieux pour demain.
Trop long, estime Yardena qui décide de m’envoyer consulter ailleurs à la fin de la journée.
Ce soir, à peine revenu à l’hôtel, Kyko passe me chercher pour me conduire à la clinique de l’ICOR, Instituto do Coração (l’Institut du Cœur), dans le quartier des ambassades, à quelque pas du bureau, une petite structure qui n’a cependant rien à envier au plus moderne des hôpitaux français. Le contraste avec ce matin est saisissant, ici tout est neuf, propre, le personnel attentif et anglophone, les locaux luxueux, la clientèle dans la salle d’attente ne vient visiblement pas des quartiers populaires.
Après quelques minutes d’attente vers 19h00, je consulte le médecin de garde, un portugais ayant fait ses études en France, il parle donc français. Auscultation sérieuse et complète, avant de poser un diagnostic, il prescrit une prise de sang effectuée aussitôt dans une infirmerie parfaitement équipée.
45 minutes plus tard, j’en ai le résultat, la clinique disposant de son propre laboratoire ouvert 24/24 7/7. Allez trouver un laboratoire d’analyses en France à huit heures du soir. Les résultats sont rassurants, pas de malaria et à priori pas de maladie de Lyme, mais le fait que je sois déjà sous antibiotique depuis quatre jours a certainement faussé le résultat. Le médecin, prudent, me prescrit le même traitement qu’aux autres membres de l’équipe, un antibiotique à base de doxycycline, une molécule destinée à lutter contre les bactéries intra-cellulaires.
La note est salée, autour de soixante euros, plusieurs fois le salaire mensuel moyen du pays, plus chère que l’hôpital public français. J’avais juste de quoi payer sur moi, la production me la remboursera. À neuf heures du soir, Kyko vient me rechercher pour me déposer à l’hôtel, c’est vraiment sympathique de sa part, j’aurais pu prendre un taxi. Je n’ai pas besoin de passer à la pharmacie, Patrick que je croise dans le hall de l’hôtel me file une plaquette entière de cet antibiotique.
Ce matin, à la mise en route du matériel, panne du graveur interne du Cantar. Un rapide démontage et remontage n’arrange rien. Il faut se faire à l’idée que nous ne pourrons plus graver les rushes son directement sur le plateau. Comme de nous deux je suis le seul à avoir un graveur sur mon ordinateur portable, je suis désigné derechef pour faire cette gravure tous les soirs dans ma chambre d’hôtel, une corvée dont je me serais bien passée. Il va sans dire qu’avec ma visite à la clinique ce soir, j’ai informé la régie qu’ils auront les rushes que le surlendemain.
Ah oui, j’ai oublié de vous dire, aujourd’hui nous avons continué cette séquence 26 dans la salle d’attente, mais ce fut le moindre de mes soucis de la journée.
Deux gros plans sur Quemo, le Président, pour son long discours. Mura n’est pas à l’aise, Guilherme le fait recommencer plusieurs fois. L’hôpital est bruyant aujourd’hui, est-ce cela qui le trouble, toujours est-il que son phrasé manque particulièrement de rythme et d’intonation.
La République des enfants – 26 / 6 t4 – perche, micro off au centre
Un plan de cinq minutes, il en faut de la patience !
Nous passons ensuite sur chacun des intervenants, Nuta, Toni, Aymar, Bia, Fatima. Mura répète à chaque fois son texte, il est bien meilleur off que lorsqu’il était filmé. Nul doute que le micro que nous avons posé pour ce off sera plus qu’utile. La matinée s’achève ainsi, monotone.
Après le repas, un petit tour dans les environs de l’hôpital, histoire de prendre un peu l’air et fuir cette atmosphère pesante.
C’est la sortie des classes, les enfants s’ébattent dans la poussière des bas-côtés de sable tandis que se croisent les magnifiques camions américains Freightliner et les minibus bondés. Freightliner, appartenant au groupe Daimler, est le plus important fabricant de poids lourds aux États-Unis, loin devant Mack plus connu grâce à sa calandre remarquable. Au Mozambique comme aux États-Unis, on trouve peu de poids lourds à cabine avancée et nez plat comme en Europe, la réglementation ne limitant pas la longueur totale de l’attelage mais juste celle de la remorque. De plus les longues routes droites africaines sont plus propices à ces tracteurs à moteur avancé.
À la reprise, c’est le dernier plan de cette séquence, Nuta remarque la blessure de Toni et l’emmène vers le bloc opératoire. Sa réplique est tellement murmurée et l’ambiance de l’hôpital de plus en plus animée que nous en faisons un son seul.
Une heure et demi plus tard, c’est déjà presque l’heure de la coupure. Après une interminable discussion entre Flora, Angela et João, chacun ayant sa propre idée de la mise en scène, nous attaquons la séquence suivante, où une petite fille vient déposer devant les trois enfants soldats restant (Mon de Ferro est toujours sur le brancard) un magnifique plat de riz et de poisson qu’ils dévorent à quatre pattes autour de la table basse, sous le regard sérieux de la secrétaire toujours à son bureau.
Le plan est large, très très large, en légère contre-plongée. Plutôt que d’équiper chacun des trois d’un HF pour leur texte, je planque derrière la gamelle de riz une capsule cardioïde, en signifiant aux enfants de surtout ne pas la toucher, ni choquer la table et d’éviter les bruits de cuillères. J’installe un autre micro d’appoint sur le bureau de la petite Sarah à qui Aymar vient demander le chemin des toilettes. Résultat très moyen, juste acceptable pour un plan large qui sera couvert demain par des gros plans, nous dit-on…
La République des enfants – 29 / 1 t4 – perche, micros d’appoint au centre
Plus que cinq jours.