2. Effets spéciaux
Quand les effets spéciaux débarquent sur un plateau, on imagine souvent que ce sera une journée tranquille pour le son ! Entre les ventilateurs, la fumée, l’agitation des techniciens SFX, il n’est guère possible de faire un son propre. Par ailleurs les mises en place sont interminables, la matinée risque d’être longue… et poussiéreuse.
Ce matin, tournage dans le parc du jardin botanique de Maputo, derrière le Centre Culturel, à 250 mètres de ma chambre d’hôtel. Il me faut néanmoins aller récupérer notre nouveau « Van Som » au parking du CCFM, et le descendre jusqu’à l’entrée du parc. Par prudence, je suis au plus près le « Van Imagem » de Bob, on ne sait jamais, même sur 100 mètres, un policier obtus est capable de vous créer les pires ennuis. Comme hier, long palabre avec la régie pour savoir où se garer. Il n’y a pourtant pas 36 000 emplacements ?
A l’entrée du parc, la statue de Samora Machel jouxte la Maison de Fer. Construite en 1892 sur des plans de Gustave Eiffel pour le gouverneur de Maputo (la ville s’appelait alors Lourenço Marques), elle ne fut jamais habitée car, bâtie entièrement en fer, toit inclus, la chaleur y était intenable. L’architecte génial n’avait pas pris en compte le climat tropical du lieu ! Cette maison abrite actuellement la Direction Nationale de la Culture. Entretemps, la climatisation avait été inventée !
Dorénavant et comme tous les matins, la préparation du matériel nous prend une vingtaine de minutes, cette fois-ci nous n’avons pas eu à attendre la caméra pour sortir nos roulantes.
L’organisation du Toyota Noah va dans le sens de la rapidité, les accès sont faciles, les roulantes à l’arrière sont rapidement détachées et sur le trottoir. A l’arrière, il y a aussi un sac à dos fourre-tout, le touret stéréo, l’USM 69, le SX-R4, les deux sièges coincés entre les roulantes, toutes choses que nous amenons systématiquement sur le plateau. Les perches et pieds dans la longueur du coté droit sont à portée de main. Les valises les plus importantes sont tout de suite accessibles par la porte latérale coulissante, le bloc HF a naturellement trouvé sa place dans un espace entre les deux sièges avant. Cette voiture était exactement celle dont nous avions besoin, je ne saurais trop remercier David pour son choix pertinent et le confort de travail qu’il nous permet.
Angela nous avertit d’emblée, la matinée ne sera pas propice au son.
En effet, nous tournons un plan de tempête de sable, sans dialogue. Après avoir repéré la direction du vent, des ventilateurs et autres engins souffleurs tous plus bruyants les uns que les autres, nous nous plaçons loin en retrait, pour éviter toute poussière inutile dans notre équipement.
J’observe quelques instants le début de la mise en place, et comprends que j’ai largement le temps d’aller flâner dans le parc. Je prends en bandoulière le SX-R4, le couple stéréo au bout d’une poignée et pars à la découverte de l’endroit.
Une partie du parc Tunduru, anciennement Vasco de Gama, est occupé par le jardin botanique de Maputo, conçu en 1885 par le paysagiste anglais Thomas Honney, une merveille quelque peu laissée à l’abandon, en cour de restauration, qui a le charme des vieilles ruines comme les appréciaient les romantiques du XIXème siècle. Un endroit calme, entouré de murs ébréchés, quelques bancs à l’ombre d’arbres centenaires, un chemin serpente à travers la verdure, un petit pont enjambe le ruisseau aménagé, de magnifiques massifs arborés ou fleuris ravissent les sens. J’y traine quelques instants à écouter l’ambiance calme d’oiseaux au petit matin. C’était sans compter les enfants et la police !
La République des enfants – 20D w1 – stéréo MS décodé L&R
Sous un kiosque à musique, très semblable à ceux du Jardin du Luxembourg, un groupe d’enfants chante et danse au rythme des claquements de mains. En cercle étroit, chacun passe à tour de rôle au centre, lance une apostrophe, les autres répondent en choeur, le soliste désigne alors le suivant qui prend sa place.
La République des enfants – 20D w3 – stéréo MS décodé L&R
Je me laisse bercé par le charme et la joie de ces enfants, oubliant presque la préparation du plan à 100 mètres de là.
Nous n’avions pas de talkies pour nous joindre Pierre et moi, mais la production avait eu la bonne idée de nous offrir une carte SIM mcel, opérateur local de téléphonie mobile. J’avais pris soin d’emporter de France un second téléphone désimlocké, Pierre avait acheté un basique Nokia sur place, pour quelques 1000 meticais (24 euros). Chez mcel on peut programmer 10 numéros mcel pour lesquels la gratuité des communications est illimitée. De plus on trouve des vendeurs de coupons de recharge de crédit qui valent une pacotille à tous les coins de rues. Quand on voyage à l’étranger dans ces pays émergents, on comprend à quel point nos opérateurs de téléphonie mobile sont de véritables escrocs.
Chaque membre de l’équipe étant donc pourvu d’un numéro de téléphone local, cela pouvait aussi servir de talkie sur le plateau. Un petit coup de fil à Pierre m’informe qu’on est encore loin d’un début de répétition.
Le plan n’est pas très compliqué : le groupe des 5 enfants soldats est au pied d’un magnifique arbre. La tempête de sable masque la vue, la caméra commence vers le ciel dans les rayons du soleil qui pointent à travers les feuilles, panote lentement sur les enfants, le vent faiblit, le sable disparaît, les enfants se frottent les yeux, se secouent, se lèvent très lentement l’un après l’autre, la caméra les suit doucement en travelling et les accompagne jusqu’à la grille de fer où l’on découvre petit à petit, intriguée par l’arrivée quasi fantastique de ce groupe, une nuée d’enfants qui viennent les prendre par la main au passage de la grille.
Les deux gars des effets spéciaux, de Gerhard van der Heever SFX, Sud-Africains blancs de Johannesburg, très sympas et vraiment compétents, avaient monté de chaque côté de l’arbre, deux tours en aluminium de 4 mètres, sur chacune un assistant déco et un SFX avec un souffleur à feuilles font voler une sorte de farine pour animal, assez fine mais suffisamment grossière pour faire l’illusion du sable dans l’image. Au sol Patrick et un SFX font de même à chaque bout du travelling. La farine vole partout, s’infiltre, tout le monde est blanc, la caméra est protégée dans du cellophane, j’en fais de même avec la perche. Tant pis pour les vêtements, de toute façon, en s’ébrouant, tout finira par disparaître.
Voilà ce que ça donne :
La République des enfants – 20D / 1 t8 – perche mono
Je vous l’ai dit, vraiment pas un plan pour le son ! En plus il y a le groupe électrogène très audible juste à côté. Le brave Ernest notre « groupman » sud-africain, n’y peut rien, la régie a fait garer son groupe au plus près du décor alors qu’il semble tout disposé à tirer autant de lignes que nécessaire. Ceci dit c’est dommage, la fin aurait mérité un stéréo présent sur la nuée d’enfants. Bref il faudra tout refaire en son seul, quand on aura du temps pour le son !
1ère prise à 10h30 après quatre bonnes heures de préparation, 8ème et dernière à 12h30, le plan est dans la boîte, il est déjà temps d’aller déjeuner.
Un unique plan dans une matinée de six heures, ça fait longtemps que je n’avais pas connu ça. Avant le repas, rangement du matériel dans les véhicules car nous nous déplaçons cet après-midi dans la rue adjacente au parc.
Rapide repas à la cantine installée au centre du parc, tables à l’ombre, tables au soleil. C’est comme hier, avec une légère variation dans la viande et le poisson, et des crevettes grillées.
Tandis que Pierre remonte la roulante à pied le long de la rue Henrique de Sousa, je vais garer la voiture en haut de celle-ci, ce soir, il n’y aura qu’à tourner deux fois à gauche pour être dans le Centre Culturel dont une porte arrière donne exactement là où nous plaçons la caméra pour le plan à venir.
Cette rue, en pente assez forte, très défoncée, aux trottoirs sales et servant de pissotière, n’est pas vraiment le lieu idéal pour tourner.
Chico, Nuta, Gosse et les deux jumelles observent la charrette des enfants soldats passer devant eux, Nuta ne veut pas les admettre dans la ville, Chico est plus tolérant à leur égard, ému par leur condition pitoyable.
Le temps de mettre la caméra sur pied pour un plan large fixe, placer les cinq acteurs et la charrette dans le champ, l’ombre gagne rapidement, il faut alors éclairer, le 18 KW HMI Silver Bullets dans l’axe, rajouter une toile de tissu blanc de 4 mètres sur 4 mètres, ce que l’on appelle un 4 par 4, bref il est déjà 15h15 quand on tourne ce deuxième plan de la journée.
C’est notre première scène véritablement dialoguée du film, une page de texte (hier il n’y avait que deux lignes). C’est trop long ! Guilherme, le coach des enfants, coupe dans le tas pour ne garder que l’essentiel.
La largeur du plan implique la pose de micros HF. Je place aussi dans la profondeur le couple MS pour les raccords d’ambiance, un lointain fond de circulation pas forcément heureux mais qui devrait pouvoir disparaitre ou être masqué au montage son, et je perche ce que je peux, loin des acteurs qui sont à 50 mètres de la caméra, si loin que je me demande si on les verra au cinéma. Deux prises et c’est plié.
Gros plan, raccord dans l’axe, ah je vais pouvoir percher. En fait de gros plan, on s’est rapproché mais on a élargit la focale. Ça reste un plan moyen voire large, mais je peux mettre le micro à 1 mètre au dessus. C’est déjà ça ! Je suis sur un tas d’ordures, en équilibre plus qu’instable entre les tessons de verre et les canettes de bière, petit texte des trois, je passe de l’un à l’autre, Maurice, qui joue Chico, est très inconstant dans ses retournements de tête, il faut être à l’affut, la charrette passe, je l’accompagne doucement en descendant de mon promontoire et en passant le micro à raz des feuillages. C’est toute la difficulté de ce métier, savoir être concentré à son maximum après des heures d’attente, ne jamais penser que l’on puisse se détendre.
La République des enfants – 20 / 2 t5 – perche mono
Heureusement qu’il y a un HF sur la petite Gosse ! On fait 5 prises, pas une n’est correcte question jeu, il y en a toujours un qui accroche sur un mot, ce sont des enfants, l’anglais n’est pas leur langue maternelle. Mais ça n’inquiète personne, tout le monde s’en remet au montage. De toute façon l’image est réussie, c’est sûrement l’essentiel ? Et c’est la fin de la journée.
Danny, arrivé de San Francisco la veille, est passé nous voir quelques instants sur ce décor, brèves salutations, rapides échanges de mots communs en anglais, c’est vrai qu’il a de grands pieds !
Rangement du matériel en 15 minutes, je vais garer la voiture à 50 mètres, et rendez-vous au bar de l’hôtel. Ce soir je dîne avec Abigail la maquilleuse et Teresa l’habilleuse avant que Pierre ne nous rejoigne.