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Coincé sur le siège étroit d’un Airbus vieillissant de la TAP, parti de Lisbonne quelques heures plus tôt en fin d’après-midi, je jette de temps en temps un oeil sur l’écran de vol qui indique notre trajectoire.
Vol TP 287 : Lisboa - Maputo
Vers huit heures du soir, nous passons à 33 000 pieds à quelques 150 km à l’ouest de Laghouat, au dessus de ce village, perché dans les contrées arides au sommet du djebel, qui m’a vu naître ce même jour de mai, le 6, 52 ans plus tôt, et que je n’ai jamais revu.
Un présage de bon augure, pensé-je, aussi, après avoir trouvé deux sièges contigus dans la rangée centrale, je peux enfin m’endormir, étendu en chien de fusil, et rêver à l’aventure qui s’annonce.
Nous sommes deux Français à partir ce jour-là après avoir rejoint Lisbonne en début d’après-midi. Pierre est ingénieur du son, je l’assisterai sur ce tournage plus comme directeur technique de l’équipe son que comme assistant son ou perchman comme le veut la hiérarchie trop rigide des plateaux de cinéma.
Rovuma – Restaurant
Premier réveil au Mozambique après une nuit chaude mais calme et profonde.
Enfin une grasse matinée qui s’annonce tranquille.
Petit déjeuner tardif sur les coups de neuf heures, parfait, copieux, varié, si seulement les oeufs brouillés pouvaient être légèrement plus baveux et le bacon à l’anglaise, un véritable repas. L’immense salle de restaurant est assez agréable, n’étaient cette musique new age et ces sièges dans lesquels on est assis trop bas.
Le buffet offre tout ce que l’on peut désirer pour un véritable repas complet, de quoi se nourrir pour la journée.
Mais c’était sans compter les caprices de l’administration mozambicaine !
Il n’est pas dix heures que nous sommes appelés en urgence par la régie pour nous rendre au plus vite sur le lieu de stationnement des camions, à quelques pas de là, le long de la cathédrale Notre Dame de la Conception qui jouxte l’hôtel.
La douane qu’on espérait au mieux lundi, venait d’ouvrir les scellés, un soulagement pour la production qui pensait déjà devoir repousser le tournage d’un ou deux jours.
Du coup, la journée de samedi sera consacrée au déballage et à la préparation du matériel. Après tout, on est là pour ça !
Il est des lieux dans Maputo, le dimanche matin, qu’il vaut mieux éviter lorsque vous avez trop l’air d’un touriste !
Au Mozambique, il est interdit de photographier les immeubles administratifs, la police, l’armée, bref tout ce qui touche à l’État. Le Mozambique n’est pas un pays riche, ses fonctionnaires doivent être peu rémunérés, aussi sont-ils heureux d’avoir un travail, quand on voit le chômage endémique de ce pays, aggravé par le fait que la plupart des Mozambicains qui travaillaient au temps de l’apartheid en Afrique du Sud ont été renvoyés dans leur pays d’origine.
Lever 4h45. Petit déj. 5h15, départ hôtel 5h40 !
La nuit a été un peu agitée, habituel à la veille d’un premier jour, même après plus de 100 films tournés.
L’hôtel a gentiment accepter d’ouvrir la salle de restaurant dès 5h00 du matin, pendant toute la période du tournage, avec un cuisinier, un chef de salle et un serveur. Cela nous permet de pouvoir profiter d’un véritable repas complet, un point capital vue l’amplitude de travail proche de 12h00, et un repas à la cantine pas avant 12-13h00.
Nous quittons l’hôtel à 5h40 pour être à 5h45 dans le camion caméra stationné en toute sécurité dans le parking privé du Centre Culturel. Bob est bien sûr à son poste, le moteur tourne.
Quand les effets spéciaux débarquent sur un plateau, on imagine souvent que ce sera une journée tranquille pour le son ! Entre les ventilateurs, la fumée, l’agitation des techniciens SFX, il n’est guère possible de faire un son propre. Par ailleurs les mises en place sont interminables, la matinée risque d’être longue… et poussiéreuse.
Ce matin, tournage dans le parc du jardin botanique de Maputo, derrière le Centre Culturel, à 250 mètres de ma chambre d’hôtel. Il me faut néanmoins aller récupérer notre nouveau « Van Som » au parking du CCFM, et le descendre jusqu’à l’entrée du parc. Par prudence, je suis au plus près le « Van Imagem » de Bob, on ne sait jamais, même sur 100 mètres, un policier obtus est capable de vous créer les pires ennuis. Comme hier, long palabre avec la régie pour savoir où se garer. Il n’y a pourtant pas 36 000 emplacements ?
Maputo – Avenida Friedrich Engels
Départ ce matin du Centre Culturel à 6h45, nous gagnons une petite heure de sommeil, car le second décor de la journée ne sera libre qu’après 15h00. C’est mon premier grand trajet dans le nouveau « Van Som », et même si j’ai récupéré mon passeport, je n’ai pas de permis m’autorisant (théoriquement) à conduire dans ce pays. Je ne sais pas pourquoi ce fichu papier rose que j’ai eu tant de mal à avoir en France (et à garder) n’est pas valable au Mozambique. Je me cache derrière le minibus, Bob, en excellent chauffeur, roule à la bonne vitesse, attend aux feux, indique suffisamment à l’avance les directions avec ses clignotants. Voilà un véritable poisson-pilote.
La contrepartie de cette assurance, ce sont les énormes fumées noires et odeurs de diésel que l’on se prend jusque dans l’habitacle, même fenêtres fermées, à chaque accélération du minibus caméra !
La République des enfants – Siège du Palais Présidentiel
Profitant du week-end, « La République des enfants » a envahi l’Hôtel de Ville de Maputo pendant 4 jours. Pour pouvoir bénéficier au maximum d’une ville calme et déserte, contrainte imposée par le scénario, la production a organisé la semaine du mardi au dimanche. Avoir le lundi comme jour de congé n’est d’ailleurs pas une mauvaise idée, les commerces sont ouverts, la ville animée.
Cette nuit, les véhicules de tournage, y compris le minibus caméra et notre véhicule, avec tous leurs matériels de valeur, sont restés devant le Palais, gardés par deux solides gaillards en treillis gris, fusil à pompe avec munition de chasse à l’éléphant engagée dans le canon. J’ai toujours une appréhension en passant à coté de ces gars, sympathiques au demeurant, qui donnent parfois un coup de main à porter des caisses, mais un coup de fusil est si vite parti !
Il nous faut pas plus de cinq minutes, vers 6h00 du matin, pour passer du petit déjeuner au lieu de tournage. Il fait encore frais à cette heure-ci, un peu d’humidité couvre les vitres.
Pour monter le matériel jusqu’au décor, les deux roulantes, les pieds et perches, le stéréo, la valise du kit-cool, Jorge et Suleimane, l’assistant personnel de Flora, tous deux guinéens, nous donnent un coup de mains.
De toute façon, nous avons le temps, car il faut d’abord éclairer le décor.
La République des enfants – Conseils des Ministres adultes
Bien que le matériel soit déjà en grande partie sur place, et la lumière somme toute à peine différente de la veille, un peu moins forte du dehors, un peu plus vive à la face, ce n’est pas avant 10h00 que nous tournons le premier plan de la journée alors que nous étions sur place dès 6h00 du matin. C’est long, très long, très très long, trop long !
Le Conseil des Ministres des adultes, au début du film, est le pendant de celui des enfants (ou l’inverse plus exactement).
Ici, la langue de bois est reine, les ministres s’invectivent, chacun défendant son propre intérêt, personne ne prête attention à Dubem, indifférent à toute cette agitation, et qui observe la ville par la fenêtre.
Le plan commence donc serré sur Dubem songeur, et lorsqu’il décroche de ses pensées pour rejoindre sa place, à gauche du Président, la caméra recule pour englober en plan très large la vaste salle du Conseil.
La République des enfants – Désolation
Sixième et dernier jour de la semaine, nous sommes dimanche. Quand nous rejoignons le décor, ce matin à 6h00, la place de l’Indépendance est déserte, et pour cause, la régie avait dès 5h30 interdit les accès à celle-ci, en bloquant chaque rue et avenue y accédant au carrefour précédant. La déco doit en effet aménager la place pour les plans de l’après-midi.
Toutes proportions gardées, c’est un peu comme si l’on avait fermé la place de la Concorde, interdit l’accès au pont du même nom, fermé les Champs Élysée à partir de Clémenceau, bloqué la rue Royale vers la Madeleine, et la rue de Rivoli à Saint Florentin.
Toutes proportions gardées parce que Maputo n’est d’abord pas aussi grande que Paris, mais surtout parce que Maputo est organisée sur un plan milésien (dit aussi hippodamien), un quadrillage de rues et d’avenues se coupant à angle droit, comme à Manhattan.
Il y a toujours un moyen de trouver une parallèle à l’itinéraire que vous auriez voulu prendre, il n’y a pas de points de passage obligés, comme dans la malcommode organisation parisienne, en étoile et cercles concentriques, dit plan radioconcentrique, où dès qu’un point névralgique est fermé, Étoile, Concorde, Châtelet, République, Bastille, Nation, on ne peut plus circuler.
C’est bien sûr mon caractère cartésien qui me fait préférer Maputo, New-York ou encore la Baixa Pombalina de Lisbonne à Paris.
Mais auparavant terminons donc la journée d’hier ! Car aujourd’hui nous allons faire du cinéma !
Maputo - Restaurant du Pestana Rovuma
Enfin une grasse matinée qui se mérite. Hors de question de se lever à 5h00 comme la veille, mais les rythmes biologiques s’étant adaptés, il faut avouer que beaucoup d’entre nous étaient au petit déjeuner dès 8h00 du matin, rien ne presse pourtant, il est servi jusqu’à 10h00.
C’est lundi, il y a peu de monde dans la salle, nous ne sommes pas vraiment en saison touristique et la Coupe du Monde est encore loin. Quelques hommes d’affaire, probablement Sud Africains. Des portugais, bien évidemment.
Plusieurs fois la semaine passée, nous avions croisé les équipages de la TAP, tout aussi matinaux que nous, en provenance de, ou en partance pour, Lisbonne ou Johannesburg, selon les jours. Mais pas aujourd’hui.
Rendez-vous vers midi pour un tour en ville, passeport en poche. L’heure est bien choisie, il fait une chaleur à crever et je ne suis pas certain que les Converse sans talon étaient le bon choix de chaussures !
Maputo – Mangrove de Costa do Sol
Ah ! aujourd’hui nous allons à la plage ! Malheureusement pas pour se prélasser sur le sable blond, ni se baigner dans les eaux chaudes de l’Océan Indien. La feuille de service nous a prévenus : N’oubliez pas la crème solaire et le chapeau. Il va faire chaud et le soleil tape déjà sacrément quand nous décollons de l’hôtel.
L’horaire de la journée est conditionné par celui de la marée, annoncée basse à 13h14, ce sera une journée continue de 9h00 à 17h00 et repas à 16h30, un horaire plutôt inhabituel.
Espérons que le buffet continu qu’on nous promet sur le plateau sera conséquent.
Il est donc 8h45 quand nous quittons le Centre Culturel en collant le cul du minibus caméra. La régie, confiante, nous avait laissé un itinéraire totalement en portugais, que nous ne parlons toujours pas, et voulait faire partir Bob une demi-heure avant nous, ce qui nous aurait laissés à la merci de n’importe quel flic en mal de touriste. Sans parler du fait que nous n’avions pas d’idée précise du lieu de tournage et du trajet. La prudence nous fit donc partir plus tôt que prévue.
Il est hors de question que nous lâchions d’une semelle notre poisson-pilote.
Maputo – Malanga
Il y a des jours où rien ne va, ce matin je suis morose et ma journée se terminera en catastrophe. Il faut alors laisser le temps passer.
Pour la première fois depuis le début du tournage, nous prenons la direction de l’Ouest, Malanga, un quartier vers la sortie de la ville. C’est simple, depuis le Centre Culturel, c’est tout droit, de la place de l’Indépendance, il suffit de suivre Avenida Josina Machel. Seulement voilà, cette avenue plutôt étroite croise toutes les grandes avenues Nord-Sud de Maputo, et il ne faut pas se tromper dans le sens des priorités, quand on roule à gauche depuis seulement 4 jours, c’est éprouvant et dangereux. Le plan milésien c’est bien, quand il y a des feux.
Une des rares journées mixtes du plan de travail, enfin mixte (à cheval sur le jour et la nuit) c’est beaucoup dire, il est prévu de terminer (retour à l’hôtel) à 21h30. Comme le soleil se couche vers 17h10, il y a quasiment quatre heures de nuit effectives. A João ensuite de bien anticiper sa lumière de nuit pour en profiter au maximum. Je n’y crois pas trop, il y a tellement de chef op. qui attendent la nuit complète pour commencer à songer où placer les projecteurs.
Nous partons donc à 10h15. Enfin un peu plus tard, les assistantes caméra, Inês et Silene, qui accompagnent Bob, sont en retard, comme trop souvent. Je n’aime pas attendre. Je colle donc au minibus de Bob au plus près, à chaque croisement il faut se rappeler sans cesse : d’abord regarder à droite ensuite à gauche. A droite, à gauche, à droite, à gauche. Avec ma dyslexie naturelle, ça tourne en boucle dans ma tête. C’est mortel, heureusement Pierre est là pour veiller. Les fumées du minibus me rendent malade. J’ouvre la fenêtre pour un peu d’air, c’est pire. Je déteste le diésel. Nous arrivons sur le plateau, il faut encore palabrer avec Yardena pour pouvoir enfin stationner pour la journée. C’est pénible. On a à peine fini de sortir le matériel de la voiture, Pierre s’en va déjà sur le plateau avec la roulante, me laissant avec tout le reste à transporter. Ça m’énerve.
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