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Coincé sur le siège étroit d’un Airbus vieillissant de la TAP, parti de Lisbonne quelques heures plus tôt en fin d’après-midi, je jette de temps en temps un oeil sur l’écran de vol qui indique notre trajectoire.
Vol TP 287 : Lisboa - Maputo
Vers huit heures du soir, nous passons à 33 000 pieds à quelques 150 km à l’ouest de Laghouat, au dessus de ce village, perché dans les contrées arides au sommet du djebel, qui m’a vu naître ce même jour de mai, le 6, 52 ans plus tôt, et que je n’ai jamais revu.
Un présage de bon augure, pensé-je, aussi, après avoir trouvé deux sièges contigus dans la rangée centrale, je peux enfin m’endormir, étendu en chien de fusil, et rêver à l’aventure qui s’annonce.
Nous sommes deux Français à partir ce jour-là après avoir rejoint Lisbonne en début d’après-midi. Pierre est ingénieur du son, je l’assisterai sur ce tournage plus comme directeur technique de l’équipe son que comme assistant son ou perchman comme le veut la hiérarchie trop rigide des plateaux de cinéma.
La République des enfants – Désolation
Sixième et dernier jour de la semaine, nous sommes dimanche. Quand nous rejoignons le décor, ce matin à 6h00, la place de l’Indépendance est déserte, et pour cause, la régie avait dès 5h30 interdit les accès à celle-ci, en bloquant chaque rue et avenue y accédant au carrefour précédant. La déco doit en effet aménager la place pour les plans de l’après-midi.
Toutes proportions gardées, c’est un peu comme si l’on avait fermé la place de la Concorde, interdit l’accès au pont du même nom, fermé les Champs Élysée à partir de Clémenceau, bloqué la rue Royale vers la Madeleine, et la rue de Rivoli à Saint Florentin.
Toutes proportions gardées parce que Maputo n’est d’abord pas aussi grande que Paris, mais surtout parce que Maputo est organisée sur un plan milésien (dit aussi hippodamien), un quadrillage de rues et d’avenues se coupant à angle droit, comme à Manhattan.
Il y a toujours un moyen de trouver une parallèle à l’itinéraire que vous auriez voulu prendre, il n’y a pas de points de passage obligés, comme dans la malcommode organisation parisienne, en étoile et cercles concentriques, dit plan radioconcentrique, où dès qu’un point névralgique est fermé, Étoile, Concorde, Châtelet, République, Bastille, Nation, on ne peut plus circuler.
C’est bien sûr mon caractère cartésien qui me fait préférer Maputo, New-York ou encore la Baixa Pombalina de Lisbonne à Paris.
Mais auparavant terminons donc la journée d’hier ! Car aujourd’hui nous allons faire du cinéma !
Maputo - Restaurant du Pestana Rovuma
Enfin une grasse matinée qui se mérite. Hors de question de se lever à 5h00 comme la veille, mais les rythmes biologiques s’étant adaptés, il faut avouer que beaucoup d’entre nous étaient au petit déjeuner dès 8h00 du matin, rien ne presse pourtant, il est servi jusqu’à 10h00.
C’est lundi, il y a peu de monde dans la salle, nous ne sommes pas vraiment en saison touristique et la Coupe du Monde est encore loin. Quelques hommes d’affaire, probablement Sud Africains. Des portugais, bien évidemment.
Plusieurs fois la semaine passée, nous avions croisé les équipages de la TAP, tout aussi matinaux que nous, en provenance de, ou en partance pour, Lisbonne ou Johannesburg, selon les jours. Mais pas aujourd’hui.
Rendez-vous vers midi pour un tour en ville, passeport en poche. L’heure est bien choisie, il fait une chaleur à crever et je ne suis pas certain que les Converse sans talon étaient le bon choix de chaussures !
La République des enfants – Bruno
La Coupe du Monde en Afrique du Sud, le pays voisin et frère, ne commence que dans deux semaines mais nous, nous sommes déjà à l’entrainement. Et croyez-moi si vous le voulez, avec une équipe pareille, on a quelques chances de ne pas aller loin.
Le décor est à cinq minutes à pieds de l’hôtel, il nous en a fallu autant en voiture, et bien une demi-heure pour se garer ! Non pas que les places de stationnement manquent, mais la régie, Yardena, une fois de plus, a été particulièrement lente à décider de la place de chaque véhicule, ainsi avons-nous jouer pendant un bon moment aux chaises musicales dans la cour du Groupe Sportif de Maputo.
A six heures du matin, ça énerve un peu.
Le décor est en pleine ville, le terrain de handball, pour l’occasion on y jouera au foot, au sol bétonné, jouxte un immense dôme dans lequel en fin d’après-midi va se réunir un bon millier d’évangélistes pour chanter leur foi en en faisant profiter tout le quartier. Heureusement les réglages de la sono seront terminés quand nous allons commencer à tourner.
Mozambique – Aldeia Impaputo
Guidé par notre poisson-pilote Bob, nous quittons le CCFM à 6h00 pour une longue route, il est prévu 1h30 de trajet sur la feuille de service. Nous traversons toute la ville vers l’Ouest, empruntons l’EN2, passons un péage et bientôt nous nous retrouvons en pleine campagne.
Nous traversons prudemment Boane, une petite ville envahie par des centaines d’élèves, tous en uniforme bleu sombre à chemise blanche, qui rejoignent à pieds le lycée, puis nous bifurquons sur l’EN5, une route bordée par quelques carrières blanches, dans une contrée vallonnée au paysage arboré verdoyant. La route est en parfait état, le macadam granuleux, la signalisation à peine usée.
Nous arrivons finalement au village d’Impaputo en moins d’une heure.
Nous sommes sur le route qui mène à la frontière avec le Swaziland et l’Afrique du Sud, respectivement à 7 et 20 km à vol d’oiseau, 45 km par la route à l’Ouest de Maputo.
Infulene – Dépôt de munitions
Du haut de la passerelle qui enjambe la route EN1 face à l’hôpital où nous tournons, on aperçoit au loin une immense zone arborée non construite et totalement enclavée dans les townships.
Vue du ciel, celle-ci est encore plus mystérieuse, on y distingue des traces qui évoquent les géoglyphes de l’antique civilisation Nazca au Pérou.
C’est en fait un terrain militaire totalement bouclé et sécurisé, un ancien dépôt d’armes et munitions construit par les soviétiques en 1984 à l’époque de la guerre civile qui ensanglanta le pays de 1977 à 1992.
Le 22 mars 2007, l’ensemble du dépôt explose.
Pendant quasiment trois heures, les munitions, roquettes, bombes et armes de toutes natures illuminent le ciel de Maputo, réchauffant l’atmosphère à des kilomètres à la ronde, causant une centaine de morts et plusieurs centaines de blessés.
La République des enfants – Sur la piste
Il fait nuit noire. La Lune nous a abandonnés. Il faut suivre le minibus caméra, il faut suivre notre poisson-pilote. Il ne faut surtout pas le lâcher, nous nous perdrions dans les townships.
D’abord regarder à droite, ensuite à gauche, à droite, à gauche. Quand on tourne à droite, il faut aller au fond du carrefour. À droite, au fond, à gauche, tout de suite. Ça tourne, moteur, action.
Nous suivons. La ville est déserte, abandonnée, Samora Machel dévastée est jonchée de débris, sur la place de l’Indépendance, quelques voitures fument encore, partout des fruits écrasés ont bariolé la grisaille du macadam.
Le vent balaye une poussière rouge que la faible lumière des lampadaires n’arrive pas à percer.
À gauche dans Jardim Tunduru, des huttes de paille brûlent les derniers grains de millet de la saison, la fumée tourbillonne dans la tempête qui rugit et apporte de loin le chant des enfants dans une classe d’école.
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