33. Chiango bloody Chiango
C’est ainsi que la feuille de service qualifie ce retour à Chiango.
Mais pour ma part, après huit jours de route EN1 et d’asile de fous, reprendre la piste de Chiango pour retourner sur le décor de la savane est un véritable plaisir.
Descendre Samora Machel, tourner à gauche sur 25 de Setembro, parcourir tout Marginal sur Costa do Sol, continuer tout droit pour prendre la piste, passer le village des pêcheurs puis le second hameau, nous voilà arrivés après la zone de tourbière et le petit canal.
À l’entrée du village des pêcheurs, un goulot d’étranglement ne laisse place qu’à un seul véhicule, le camion électro est bloqué là au milieu du chemin, enlisé profondément dans le sable.
Les bas-côtés sont totalement creusés, meubles, mais c’est la seule alternative possible. Un 4 x 4 y passe avant nous sans difficulté.
Je suis moins téméraire. Je fais marche arrière pour laisser la place aux véhicules qui arriveraient et nous réfléchissons à la meilleure façon de franchir cet obstacle avec notre Toyota Noah qui n’est pas tout terrain. Il faut prendre un maximum d’élan, foncer aussi vite que possible bien droit pour ne pas risquer de planter le train avant. Pierre descend pour écarter la foule déjà nombreuse à cette heure pourtant matinale.
Je croise les doigts, appuie à fond sur l’accélérateur, la boîte auto fait rugir le moteur et bondir la voiture, je ne peux plus reculer ni freiner, je suis lancé à fond sur les bosses et le sable, je frôle le camion au passage. A l’arrière, le matériel saute dans tous les sens, les amortisseurs grincent en s’écrasant, je m’agrippe au volant pour ne pas être éjecté de mon siège. Cinquante mètres plus loin, je suis à nouveau dans la trajectoire de la piste, Pierre remonte, nous souhaitons bon courage à Camal qui patiente au pied du camion électro.
Une journée à la campagne, au grand air, où la mélodie du vent et des oiseaux berce les corps et les esprits fatigués, autant dire que ce sont presque des vacances !
Attention, du fait que certains collègues ont attrapé la fièvre des tiques, merci de porter pantalons et manches longues.
C’est écrit en gros en entête de la feuille de service.
Bon ça va, je suis déjà passé par là et je ne vais pas changer mes habitudes vestimentaires. Bermuda et t-shirt, socquettes et casquette, comme tous les jours depuis le début du tournage.
À l’heure où nous arrivons, après être partis du Centre Culturel à six heures moins le quart, il fait véritablement frais, voire froid, la veste polaire n’est pas de trop le temps que le soleil tropical réchauffe l’atmosphère, pour peu que le vent se calme un peu.
Manuel et Jorge ont monté un travelling d’une quinzaine de mètres dans les hautes herbes et nous allons y faire six plans de la charrette des enfants soldats qui cheminent à travers la savane.
Nous patientons un bon moment avant l’arrivée du camion électro parce que João a prévu d’utiliser le HMI 12 kW pour tourner à contre-jour. Finalement en attendant, Paulo suivra le travelling avec une plaque de poly à la main, ce qui nous évite la nuisance sonore du groupe électrogène devenu inutile, à part pour la machine à café de la table régie.
Alors que je recule en précédant la carriole, je me couvre de ridicule en tombant en arrière dans un trou. Silene a filmé la scène avec son appareil photo posé sur le travelling, on m’y voit avec la perche dépliée quasiment au maximum disparaître tout d’un coup dans les hautes herbes. Ça fait bien rire le plateau, moi aussi d’ailleurs.
La République des enfants – 20 / 3 t2 – perche au centre, stéréo MS décodé L&R
Toute la matinée passe donc à filmer ce groupe selon différents angles et longueurs de focale, des plans d’ambiance pour ce qui concerne le son, perche et micro stéréo pour le vent et l’espace.
Nous enchainons sur un plan raccord de la première séquence du film, le jeune soldat qui abat les parents de Fatima dans un cri de rage qui devrait être terrifiant. Il n’y aura que deux prises, mais le cri n’est vraiment pas convaincant, à refaire en auditorium.
Changement de décor pour la dernière séquence prévue après manger. Enfin, après une bonne heure de repérage du lieu par la mise en scène et le chef opérateur, nous traversons la piste avec matériels et véhicules en direction d’un chemin parallèle au ruisselet.
À la coupure déjeuner, après une brève collation, mon régime n’ayant pas changé depuis longtemps, riz blanc et morceau de poulet, je pars assez loin du décor, avec USM 69 sur l’épaule et SX-R4 en bandoulière, faire quelques fonds d’air avec le vent qui balaye les hautes herbes et fait bruisser les arbustes.
La République des enfants – 18 / 1 w2 – Vent et savane – stéréo MS décodé L&R
Fermez les yeux, mettez un casque sur les oreilles et laissez vous bercer, loin dans la savane africaine.
Sur ce chemin loin de tout, malgré les traces de pneus qu’on y distingue, avec la savane à perte de vue, dans cette solitude africaine, je pourrais rester étendu là dans les herbes, et passer des heures à écouter le vent jouer avec le paysage, à oublier les pénibles journées que nous avons vécues auparavant.
Voilà qui me réconcilie avec le tournage et redonne un élan et une motivation retrouvée pour achever avec optimisme les derniers jours.
Je sors enfin de mon traitement antibiotique et j’ai l’impression de retrouver la forme des premiers jours.
N’ayant pas vu le temps passer et n’étant plus en vue du tournage, je reviens en courant pour arriver essoufflé sur un plateau que je découvre quasi déserté. Il me faut un moment pour reprendre mes esprits, avant de faire un peu de nettoyage et de rangement dans la voiture.
La carriole, tirée par Mon de Ferro sous la menace de la Kalachnikov que Fatima pointe sur lui après sa prise de pouvoir sur le groupe, chemine péniblement sur un sentier en pleine brousse et se rapproche de la caméra. Aymar se détache précipitamment du groupe, persuadé d’apercevoir des immeubles au loin, vision du désir d’en finir ou mirage de la chaleur, en tout cas ni Fatima ni Toni n’ont rien vu. La caméra le suit en travelling assez rapide, il montre du doigt l’horizon, Fatima arrive dans son dos.
Le terrain est très accidenté, je suis obligé de suivre la troupe sur une trace parallèle m’obligeant à avoir une perche assez longue. Le vent souffle constamment, un bon force 5, et passer de Aymar à Fatima deux mètres derrière lui nécessite d’anticiper au bon moment, d’autant plus que les rapides retournements de tête de Bruno sont imprévisibles.
La République des enfants – 17 / 1 t7 – perche seule au centre
Le vent qui ne cesse de forcir, alors que le soleil rejoint l’horizon, fait battre le métal des HMI et pénètre dans les poils de la bonnette Zephyx, le groupe électrogène à quelques mètres est parfaitement audible, si bien que nous refaisons le texte en son seul en fin de journée, alors que tout le monde est déjà en train de plier.
C’est ainsi que nous reprenons tranquillement la piste, quelque peu abrutis par cette journée de plein air venteuse et vraiment fraîche mais combien revigorante.
Même Pierre se laisse aller à la contemplation des plages de Costa do Sol.