16. Retour à Impaputo
Nous voilà de retour dans le village de Impaputo pour finir les premières séquences du film.
Nous avons pris la route plus tard que Bob, mais le chemin est assez simple, EN2, Boane, EN5, c’est bien indiqué. Au départ du CCFM, nous faisons les même détours que Bob pour éviter les éventuels policiers pas gentils avec les automobilistes.
A six heures du matin, il fait encore nuit mais avant d’arriver sur Boane, la campagne environnante se découvre d’une légère brume qui monte du sol. Les couleurs sont magnifiques, les verts profonds de mille nuances du paysage vallonné se heurtent aux rouges de la terre et caressent les bleus orangés du ciel nouveau.
Nous revenons sur le dernier décor de la journée d’hier, pour un plan d’effets spéciaux, les parents de Fatima reçoivent les balles en pleine poitrine et s’effondrent.
Gerhard préparent donc les impacts de balles qui doivent percer les vêtements de la femme et du vieil homme. Sur une petite plaque de métal qui sera tenue sur la poitrine par une sangle, il scotche une pochette de sang (on utilise soit du sang de porc, soit plus souvent un produit artificiel qui en a la même consistance et couleur). La pochette est couramment réalisée avec un préservatif. Entre la plaque de fer et la pochette, il glisse un petit détonateur électrique qui explosera lorsqu’on lui enverra par un fil une tension de 9 à 12 volts. C’est en fait une mini charge d’explosif, lorsque le courant lui parvient, une étincelle se produit dans le détonateur et la charge explose. Le sang jaillit vers l’extérieur, d’où est supposée venir la balle. Dans la réalité, le sang jaillit au point de sortie (s’il y en a un), rarement du point d’entrée. Mais c’est le cinéma.
Gerhard pose autant de plaques que d’impacts nécessaires. Les fils noirs passent sous les vêtements, sortent au bas de la jambe, de là ils sont enterrés dans la terre vers la profondeur du cadre, font un large détour pour aller ensuite jusqu’à la centrale de commande. Chaque impact a son propre fil, chaque fil son interrupteur qui déclenche l’explosion. Une balle pour l’un, deux pour l’autre, cela fait donc trois impacts à mettre en place.
Pendant que Gerhard s’affaire, Flora et Guilherme font répéter les mouvements de la chute et les cris de peur aux deux acteurs. L’herbe est parsemée de piquants, on a posé pour les répétitions une bâche au sol pour protéger les acteurs. La caméra s’installe face à eux, assez basse au sol, ils sont à genoux, comme pour supplier, les mains dans le dos.
Patrick, Joachim et Waldemar s’activent pour creuser les tranchées des fils de commande. Tout doit être parfait dès la première prise, même si les costumes ont prévu des habits de rechange pour une éventuelle seconde prise. Tiens à propos des costumes, Lucha, une portugaise déjà à Maputo pour un autre tournage, a remplacé Teresa.
On peut faire confiance à Gerhard pour que cela fonctionne dès la première prise et c’est le cas, Flora semble extrêmement content et impressionné par son professionnalisme, de plus les deux acteurs ont parfaitement joué la peur et la chute au sol.
Il est 8h30, il n’y aura pas d’autres plans dans cette première séquence, cela laisse peu de possibilité de montage pour rythmer la scène, dramatiser l’action, montrer l’horreur, cela est vraiment dommage.
Il nous reste donc à ranger les affaires dans les véhicules et nous pouvons partir sur le deuxième décor de la journée, à quelques centaines de mètres de là.
Pendant que je finis de ranger la voiture, Pierre part seul avec la roulante sur les chemins du village, je l’y rejoins et la régie m’indique où stationner à quelques mètres du décor.
Nous sommes dans une autre propriété du village, que j’avais pris en photo la veille en me promenant, j’y avais remarqué l’extrême propreté du sol de la cour, le soin avec lequel la terre rouge, la latérite, avait été balayée pour en faire une surface aussi belle qu’un gazon anglais.
Deux femmes sont assises là, à la porte de leurs cases, un enfant s’amuse sur une natte posée au sol.
Elles y resteront quasiment toute la matinée, sauf le temps de préparer le repas.
La hutte que ces gens nous ont prêtée, le temps d’une journée, est ronde, en torchis et paille, un toit de chaume, il est probable qu’elle serve de poulailler. La déco l’a entièrement vidée pour que nous puissions y tourner. L’espace y est exigu, le toit assez bas ne facilite pas les déplacements.
Il fait très chaud au soleil, nous nous installons sous le feuillage d’un arbre qui domine toute la cour.
Une jeune fille a la gentillesse de nous prévenir par geste de ne pas trop s’en approcher, à son pied une immense fourmilière d’où sortent des bêtes longues comme un ongle, ceux qui n’auront pas fait attention en sont quittes pour se secouer et s’asperger de produit anti-insectes.
Ce lieu qui paraît si démuni héberge une famille entière, l’homme que nous n’avons pas vu, quatre femmes, et au moins neuf enfants.
Il semble que chaque femme ait sa propre case, dans laquelle sont aussi logés ses propres enfants.
L’homme a probablement sa case, dans laquelle le rejoint la compagne du moment à moins que ces femmes ne soient pas toutes les siennes.
Une construction de bois ouverte et protégée par un toit de tôle sert de cuisine.
Pendant que nous préparons le plan, je suis surpris de voir le peu d’intérêt que ces gens portent au tournage, ce n’est pas de l’indifférence, mais il n’y a pas cette curiosité parfois gênante que l’on rencontre par exemple à Paris.
Au moins nous laissent-ils tranquilles, je ne sais pas s’il s’agit d’humilité, de timidité ou simplement d’indifférence. Le luxe et la richesse que nous portons en nous sont à mille lieues de leur monde.
Malgré ce dénuement apparent, je remarque qu’une des femmes tient dans la main un téléphone portable, style vieux Nokia basique.
Même si quelques fils électriques traversent le village, peu de propriétés ont l’électricité. Pourtant quasiment tout le monde dans les campagnes a un téléphone portable. Il faut dire que les opérateurs locaux mcel et Vodacom sont extrêmement bon marché, le système de carte prépayée peu couteux est parfaitement adapté au pays.
Pour le chargement des batteries, passe chaque semaine au petit matin une personne qui emporte les téléphones à la ville pour les rapporter le soir chargés.
La scène est un flashback dans le film sur l’enfance de Mon de Ferro. A l’âge de cinq ans, il est emmené par un militaire qui vient le récupérer sur les cadavres de ses parents qui gisent ensanglantés sur le sol d’une pauvre hutte. L’enfant a une large plaie qui lui barre toute le visage, un coup de machette probablement.
La caméra s’installe au sol dans l’axe de la porte de la hutte. Devant gisent les parents et grands parents. Sur eux est posé le petit Sydney qui joue Mon de Ferro jeune. Apparaît alors en contre jour la silhouette imposante du militaire, à l’allure révolutionnaire, qui s’empare du petit et s’en va.
Pour réaliser cette impression de contre-jour, un long tunnel noir est assemblé avec des barres d’aluminium et du borniol (tissu noir et épais).
Au bout est installé un écran blanc (en 4 par 4 mètres) sur lequel vient taper le 18 kW. A travers les orifices de la hutte, un HMI 12 kW crée un rayon de soleil.
Il faudra un temps fou pour installer tout cela, sur place à 9h00, on ne tournera pas avant 11h30.
Même si Pierre dit souvent, avec raison, qu’il ne faut jamais chercher à comprendre le pourquoi des choses sur un plateau, on peut se poser la question de l’intérêt d’avoir fait tout ce chemin pour cela.
N’importe quel hangar de Maputo aurait fait l’affaire, un peu de déco de terre et de paille, la même construction du tunnel de lumière, et le tour était joué. Car nous ne filmerons pas autre chose que cet intérieur d’où l’on ne voit absolument rien du dehors.
Pour ma part, je suis heureux d’avoir fait ce long trajet, je suis content d’être dans ce village, je suis en partie venu en Afrique pour cela.
Ce décor me va bien, je m’y sens à l’aise, je regrette profondément que nous n’y soyons que deux jours, et dans les promenades que j’ai pu faire à travers le village lors des coupures repas, je n’ai pas ressenti de gêne de la part de la population, pas de regards vindicatifs comme on peut en voir dans certains endroits défavorisés.
Le travail d’Abigail est formidable, la plaie du petit Mon de Ferro est plus vraie que nature. Son assistante, Sheila s’occupe quant à elle des 4 figurants étendus dans la hutte.
Le petit Sydney, à peine cinq ans, prend les choses avec patience et simplicité, docile, il fait ce qu’on lui dit de faire.
Il ne parle ni le portugais, ni l’anglais, mais une langue locale, probablement l’Emakhuwa (makua) ou le Xichangana (tsonga), et c’est Joachim qui se charge de traduire les consignes.
La lumière est prête, la caméra est installée, les adultes ont été répartis sur le sol, je peux enfin entrer dans la case, le petit Sydney est posé sur les cadavres, Abigail vient y placer un filet de sang et l’on peut tourner.
Quatre prises puis nous faisons encore trois petits plans raccord. Le son est particulièrement mat, le torchis absorbe tout, on perçoit à peine les écoliers au loin.
Même le groupe électrogène pourtant à quelques mètres de la case n’est pas audible.
En inversant le principe, on pourrait peut-être enfermer ce groupe systématiquement dans une hutte de torchis. Il faudra un jour que je dise au responsable de Cinegate Africa combien son groupe est bruyant et ne convient pas vraiment pour le cinéma. La base est pourtant un Mercedes, mais la cabine est trop petite pour assurer une isolation acoustique suffisante.
Midi et demi et ce décor est terminé, il nous reste un plan à faire que nous n’avions pas eu le temps de faire la veille, un plan du chien que les balles de Mon de Ferro n’arrive pas à effleurer. Avant de plier le matériel et de tout remettre dans les véhicules, nous allons à la cantine installée derrière un des bâtiments de l’école.
Le repas est vite expédié, pour ma part depuis mes aventures gastriques, je me contente de riz blanc sans sauce, d’un ou deux petits morceaux de poulet grillé et d’un verre de coca débullé pas trop frais. Je quitte rapidement la table pour aller faire un tour dans le village.
Alors qu’un feu soudain finit de consumer plusieurs greniers de pailles sous le regard impuissant des femmes, nous revenons sur la place du village, devant l’école. Reste donc à y tourner un ultime plan du chien qui observe Mon de Ferro, immobile et indifférent aux pierres qu’on lui jette, insensible aux balles qui ne l’atteignent pas.
Le chien, que nous avions déjà vu mercredi au stade de foot, n’est pas vraiment celui que le scénario décrit : un pauvre chien pelé, rabougris, d’aspect gentil, ce type de chien qui fait pitié et surtout pas peur. Celui que nous filmons est un magnifique berger, racé, d’allure noble, la face méchante. Je ne me risquerais pas à lui envoyer le moindre cailloux, quand le dresseur libère son licol, je suis prêt à partir en courant me réfugier hors de sa portée.
Bien évidemment, nous n’allons pas tirer sur cette bête, fût-elle méchante. Pour donner l’illusion d’impacts de balles sur le sol, on utilise souvent des armes de paintball à air comprimé. Ces fusils envoient de petites billes d’un bon centimètre de diamètre. La portée n’est pas très importante, au maximum une dizaine de mètres, la poussée très faible. Quand la bille touche la cible, elle se brise. Pour des impacts sur un mur, elles sont remplies de poudre de zirconium qui, en se brisant, crée de petites étincelles, un peu comme les bâtons magiques.
En l’occurrence il s’agissait pour Patrick de tirer juste à côté du chien, qui devait resté immobile, la poussière de latérite se soulève, au monteur son de rajouter un sifflement de balle et l’illusion d’un impact sur le sol est parfaite.
C’était sans compter que la bombe d’air comprimé livrée à Patrick par la déco ne convenait pas à son fusil. Pas démonté pour autant, Patrick, l’homme aux mille et une ressources, sort alors sa sarbacane, la charge de billes et en s’époumonant, pauvre fumeur, réussit après quelques essais à placer les billes de plastic exactement devant le chien. Enfin, pour réunir toutes les conditions, chien immobile, impacts correctement placés, il aura fallu huit prises !
Manquera le plan du chien qui suit Mon de Ferro traînant derrière Tigre et la troupe d’enfants. Et il en manquera beaucoup de plans dans ce film. A passer beaucoup de temps à régler quelques détails d’image, on en finira par oublier de filmer l’histoire.
A trois heures de l’après midi, la journée est terminée, nous n’avons pas enregistré quoi que ce soit d’intéressant au son, et alors que l’instituteur entame son cours de gymnastique, je quitte cet endroit avec le regret de ne pas y revenir.
i really liked the pictures,and i also believe that the movie itself is amazing .i have no words but i got to say congratulations to our loved director Flora Gomes.
thanks for portraying something interesting to the world.
Penasbugo Gudo
Actor